C'est donc comme ça que ça finit.
Les
mains sur le rebord d'un trottoir, à genoux sur le béton, penché
au-dessus d'une bouche d'égout, à fixer sans les voir les remous
des eaux usées de cette foutue ville. Il m'ont pas loupé, ces
enfoirés, une belle entaille de l'aine jusqu'aux premières côtes,
et vu comme ça pisse le sang, il doit pas me rester longtemps.
J'y
croyais pas vraiment, pourtant, à cette légende urbaine qui faisait
de plus en plus parler d'elle. Le Necrodancer, une bande de quatre,
froids et sauvages, prêts à s'enfoncer en ricanant dans la plus
profonde décadence. Mais, j'aurais dû me méfier : des gars issus
de Verdun, Daggers ou encore Death Mercedes, qui n'hésitent pas dès
leurs premiers méfaits à s'allier au sombrement célèbre Amaury
Sauvé, et qui amènent même certains à les comparer à des
pointures telles que Haust ou Okkultokrati, ça aurait dû me foutre
la puce à l'oreille.
Mais
comment ne pas se laisser séduire ? M'aborder avec des crochets
comme 'The Necrodancer' puis 'The Seizure', c'est me prendre par les
sentiments. Des coups droits si directs, purement rock'n'roll, qui
sentent le bar plein à craquer, les amplis qui chauffent un peu trop
et la sueur à la bière, j'en redemande, j'encaisse les coups avec
le sourire, je tends l'autre joue en riant. La caboche qui sonne
comme une caisse claire à la délicieuse réverb, les oreilles
bourdonnantes comme agressées par une basse avec tous les potards à
fond.
C'est plutôt ces accès de froideur qu'ils me
balançaient par petites touches qui auraient dû m'alarmer : avec
'The Hunter' et 'The Cruisade' a vite commencé à souffler un vent
glacial entre les dents des quatre lascars, leurs sourires vicieux
brillant dans le noir tandis qu'ils s'approchaient de moi,
m'entouraient, m'acculaient, me piégeaient comme un rat. Et
pourtant, comme un con, j'avais toujours envie de cogner du pied par
terre, de sourire, de me déhancher comme une des girls du bar d'à
côté tellement ces salauds savent swinguer.
Et les coups ont
continué à pleuvoir. Les gnons bien lourds et pêchus de 'The
Divide', le redoutable Matthias Jungbluth qui s'est joint à eux pour
me percer les tympans sur 'The Inquisition'... A quoi bon chercher à
esquiver ? A ce stade, on se contente de se relever comme on peut
avant le prochain assaut, en titubant, la vision brouillée par le
sang. Il leur a suffi d'une demi-heure pour me laisser pantelant
avant le coup final, le dernier accès de rage, le fameux coup de
surin qui m'a achevé, 'The Battlefield'.
Ce qui nous ramène à l'instant présent, et à ma lucidité qui se fait de plus en plus la malle, au même rythme que l'hémoglobine qui me sort toujours à gros bouillons par le bide. Appeler au secours ? Même pas en rêve. Ramper jusque quelque part où on pourra me recoudre ? J'aurai lâché prise bien avant d'arriver où que ce soit. J'ai plus qu'à crever ici, sans comptes à rendre à personne, écrasé dans mon coin, la tête qui résonne encore. Necrodancer... Ils portent bien leur nom, ce sera ma dernière pensée.
Et pourtant, j'ouvre les yeux. Une ampoule qui grésille là-haut au plafond, un ressort de mon vieux fauteuil qui me poignarde le dos, le crépitement d'un vinyle arrivé à sa fin dans les enceintes... J'ai rêvé. Je me penche en avant, et je repose l'aiguille sur la première piste de Void.
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