lundi 2 octobre 2023

Cleaver | No More Must Crawl

Oh allez, chiale pas, va : ça arrive à tout le monde de se prendre une mandale dans le coin de la gueule sans rien avoir vu venir. Surtout que là c'est arrivé sans un bruit, sans un sifflement d'avertissement, sans le moindre petit bruit de pas, sans une foutue brindille pour craquer. Le braquage parfait, quoi – par-derrière, d'un coup sec, sans appel ni pardon. Le genre dont on ne se réveille pas tout de suite, et qui laisse des séquelles pendant un moment. Tu ne baisseras plus ta garde avant un bail.

Et puis cet ovni de violence qui débarque de Commercy, dans la Meuse, personne n'aurait pu le voir venir de toute façon. A Commercy, on fait des madeleines (très bonnes, mais ce n'est pas la question), on prend le train pour aller à Nancy ou à Toul, on se fait chier en regardant la pluie ou en l'attendant, mais on ne fabrique certainement pas de monstruosités qui héritent autant de Converge que de Gaza, Cult Leader et autres Botch.
Ouais, t'as bien lu : les salauds de Cleaver mettent la barre très très haut pour un premier album, et ils frappent en plein dans le mille. Entre influences parfaitement digérées, son carrément impressionnant pour une première sortie, pochette aux petits oignons et signature directement chez Season Of Mist sans passer par la case départ, on se retrouve là devant un bon pavé bien dense d'ultra-violence et d'ambiances bien senties.

Dès l'ouverture 'Desperate', c'est le déluge. Tout à balle sans intro, un hurlement saturé, des riffs mi-hardcore mi-rock'n'roll et un final à base de ralentissement de gros boeuf et de tapis de double pédale : c'est la fête, et c'est plus que prometteur pour le reste de l'album.
Avec le second titre 'Dressed In Sorrow' apparaît une influence évidente : le Converge de la grande époque, et plus particulièrement son guitariste Kurt Ballou. Cette guitare dissonnante et torturée aux riffs qui-n'en-sont-pas-mais-qui-en-sont-quand-même va porter tout l'album et constituer un des éléments qui le séparent du hardcore de base. Sur des morceaux comme 'Sunset' ou 'The Plight', c'est flagrant, et ça apporte une vraie ambiance et un côté chaotique qui donnent envie de se dévisser la nuque.
De ce côté d'ailleurs, les singes du pit ne seront pas déçus : des titres comme 'Thudding Stares', qui rappellent autant les regrettés Gaza que les meilleures heures de Cult Leader, c'est irrésistible. La guitare hurle à la mort, la batterie tabasse dans tous les sens, les riffs semblent tourner en rond comme une meute de loups, c'est autant dans l'urgence que ça traîne en raclant ses crocs par terre : du caviar. Sans parler de 'Kyg', courte décharge de violence explosive avec son passage de basse et son break dévastateur qui vont mettre le feu à plus d'une fosse.

Mais Cleaver ne se reposent pas que sur une violence abrutissante, et c'est ce qui leur donne une profondeur supplémentaire et une vraie identité. 'Inner Voice' démarre par un duo voix claire et guitare qui sent bon le post-rock, 'Light On' fait la part belle aux plages de guitare ambiante et au bruit blanc... Et le final 'No More Must Crawl' – 'Grief' clôt à merveille l'album, entre mélodie, mélancolie et souffrance hurlée sans retenue. Ces deux titres valent à eux seuls l'écoute du disque, écrasants et bourrés d'émotion, et offrent une parfaite conclusion à une vraie claque de violence variée et maîtrisée. Expier et renaître se fait dans la souffrance, et la pochette de l'album l'illustre bien (qui rappelle d'ailleurs la scène de fin du film Saint Maud – ceux qui l'ont vu sauront, les autres, foncez-y !)

On ressort assez lessivé de l'écoute de No More Must Crawl – et c'est exactement ce qu'on demande à un album de ce type. J'ai retrouvé en l'écoutant la branlée que m'avait mis un album comme Debt de Helpless à sa sortie, et c'est un grand compliment. Cleaver est un groupe à suivre, sans faillir.

mercredi 28 décembre 2022

Pogo Car Crash Control | Tête Blême


Des albums profondément ancrés dans Paris, il y en a à la pelle. Parmi les plus marquants de ces derniers temps, on trouve Still de Cowards pour le Paris de Gaspar Noé avec le crack dans le caniveau et le couteau papillon dans la poche, ou encore A Loner de Hangman's Chair pour le Paris triste entre éclairage au néon des arrêts de bus et valises sous les bras ou sous les yeux.
Mais qu'en est-il du Paris des jeunes qui se font chier ? Celui des bouteilles qu'on balance sur les murs des usines, de la colle qu'on sniffe en espérant crever un peu l'ennui, celui des à-peine-adultes et encore trop ados qui n'ont que l'ironie pour tenir le coup ? T'inquiètes papa, P3C arrivent – et ils ont les crocs.

Bon, ils sont arrivés depuis un moment puisque Tête Blême a déjà deux ans, mais je retrouve encore aujourd'hui le même shoot d'adrénaline que lors des premières écoutes. La porte est enfoncée dès 'L'odeur de la mort' et son riff qui donne envie de se jeter la tête la première dans les murs, et des riffs comme ça, il y en a à la pelle, semés sur tout le disque. Le palm mute enragé de 'Miroir', le hardcore tous crocs dehors de 'Ce monde humiliant', la frénésie de 'Pourquoi tu pleures'... C'est une rage juvénile qui porte le disque, adolescente mais totalement décomplexée, jusque dans les paroles qui collent parfaitement à cet esprit.

C'est d'ailleurs les paroles qui apportent ce second degré bienvenu, sans lequel Tête Blême serait sans doute un peu grandiloquent. 'Qu'est-ce qui va pas ?' en est le meilleur exemple, espèce d'hymne complétement barré qui évite avec brio le côté prépubère-qui-chouine et donne juste envie de se laisser porter en brandissant un parpaing. C'est un peu punk, un peu hardcore, vachement grunge, c'est surtout un beau cocktail énergétique qui n'hésite pas à ralentir le tempo pour laisser causer un groove vraiment efficace. Avec une batterie simple mais qui cogne où il faut et une basse qui ronfle à souhait, c'est dur de ne pas se laisser embarquer par la brochette de riffs à la fois gras et nerveux qui nous tombe sur le coin de la tête.

Ils se permettent même en fin de disque une chanson à part, à l'ambiance pesante mais toujours coupée à l'autodérision. 'L'intérieur de ton corps', c'est le titre encore-plus-à-la-Killing-Joke-que-les-autres de Pogo Car Crash Control, qu'ils balancent l'air de rien, un sourire en coin, entre l'hommage et le foutage de gueule, et c'est de loin un des meilleurs de l'album. De vrais sales gosses qui jouent du grunge gratiné au hardcore, mais avec une attitude de millenials des cités, désabusés et goguenards – si Tête Blême est sorti chez Panenka, label sur lequel on a plutôt l'habitude de trouver des Georgio, PLK et autres Therapie Taxi, c'est pas pour rien.

A part quelques titres un peu plus légers que les autres, il n'y a pas grand-chose à jeter sur cet album. Ca part dans tous les sens, ça bastonne non-stop pendant 34 minutes, ça s'assume et ça se fend la gueule tout du long : non, je ne suis pas très objectif au sujet de P3C, mais un disque comme ça, ça s'enfile d'une traite avec un plaisir même pas coupable. Comme le fond de 8,6 qui traînait au fond de ton frigo, entre deux Valium piqués dans la pharmacie de maman.

Comeback Kid | Heavy Steps


Je l'ai déjà dit dans ma chronique de l'album précédent, Outsider : Comeback Kid a marqué mon entrée dans le hardcore, dont je ne suis plus jamais ressorti après y avoir mis un pied. Par contre, si cette chronique était à refaire, j'y changerais bien quelques mots, et je baisserais un peu ma note. Outsider était l'album d'un revirement plus mélodique, moins hargneux, plus ensoleillé pour le Kid ; et si j'ai pu écrire à l'époque que c'était une transition très réussie, avec le temps un sentiment de déception s'est installé. En gros, l'ancien Comeback Kid est vite venu à manquer.
L'urgence de Broadcasting..., le côté punk de Symptoms + Cures, la violence taillée pour le pit de Die Knowing en font des albums quasi-intouchables et que je place très haut dans mon classement hardcore. Outsider, malgré de très bons morceaux et une efficacité toute Kid-esque, fait au final un peu tache dans la discographie. Et Comeback Kid étant vraiment l'unique groupe à sonner comme Comeback Kid, j'espérais qu'ils allaient revenir combler ce vide avec un peu plus de patate sur le prochain.

C'est là qu'on en vient à Heavy Steps. Trois singles dévoilés, trois grosses mandales dans la pure veine des canadiens, avec une rage intacte et même plus poussée que jamais. "Heavy Steps", "No Way Out" et "Crossed" laissaient immédiatement présager d'un album survolté, et le clip jouissif de "Heavy Steps" confirmait cette idée. Moi aussi je veux que Comeback Kid viennent saccager ma fête d'anniversaire en braillant.
Et le reste de l'album ne dépareille pas. On retrouve tout ce qu'on aime chez eux : des riffs un peu thrashy qui donnent envie de courir partout en faisant des grands moulinets avec les bras ('Heavy Steps', cinq secondes après avoir lancé l'album), des hymnes à hurler le poing levé ('Face The Fire', 'Everything Relates', 'Standstill'), et surtout la voix D'Andrew Neufeld, hargneuse et mélodique à la fois, reconnaissable entre mille et qui fait beaucoup de l'identité du groupe depuis son arrivée.

Ce qui change surtout la donne avec cet album, c'est qu'on a à mes yeux (à mes oreilles ?) l'effort le plus énervé qu'ait jamais sorti Comeback Kid. Ca bourre à fond tout le temps, l'intensité ne baisse jamais d'un cran au long des trente minutes, et ce sans jamais larguer l'auditeur. L'attention est sans cesse relancée par une nouvelle idée, un nouveau riff qui envoie, et surtout par une violence qui semble ne faire que s'intensifier dans la seconde moitié de l'album. L'enchaînement 'Dead On The Fence', 'Shadow Of Doubt', 'True To Form' et 'In-Between' est un grand moment de hardcore, les quatre titres sont sans temps morts et ne pardonnent rien, entre punk-hardcore bien speed et gros breakdowns lourdingues (ce break sur 'In-Between' où Neufeld s'arrache les cordes vocales, raaaah).
On trouve même un côté quasi-beatdown à base de palm mute très menaçant qui est nouveau chez les canadiens, notamment dans les breaks de 'Face The Fire', de 'Dead On The Fence' ou de 'True To Form'. Tout a été pensé pour casser des bouches, et le feat de 'Crossed' en dit long : c'est bien sieur Joe Duplantier qui est venu hurler en arrière-plan, et sans aucun doute influencer le riff du morceau. Le second feat de JJ Peters, rappeur-crieur de Deez Nuts, s'il m'a beaucoup enthousiasmé à son annonce, est plus anecdotique : on l'entend à peine dans le mix, et la chanson est sans doute la moins intéressante de l'album. Un petit couplet à lui n'aurait pas été de trop.

On ajoute à tout ça un son massif à souhait, qui fait la part belle à la voix de Neufeld et aux rythmiques de guitare avec une basse un peu plus ronflante que d'habitude, et on obtient un monstre. Mentions spéciales à la caisse claire qui semble prendre la raclée de sa vie, et au jeu ultra-carré et intelligent de Loren Legare, cogneur qui a rejoint l'équipe juste après l'album Die Knowing et qui rend vraiment la section rythmique plus intéressante.

Se ramollir après 20 ans de carrière ? Pourquoi faire ? Comeback Kid n'a jamais aussi bien porté son nom. Après une petite baisse de régime sur Outsider, ces piliers du genre réussissent un vrai retour en force et balancent leur album le plus intense à ce jour, en rassurant ceux qui comme moi les préfèrent toutes dents dehors et prêts à tout mettre à sac partout où ils passent. Le punk hardcore a encore de beaux jours devant lui.

Worst Doubt | Extinction


En voilà un album qu'il sent bon le caniveau, la zone industrielle pérave et le bitume dans tous ses états. Entre l'artwork abusif, le titre qui vit avec son époque et le logo façon graffiti post-apocalyptique, y a point de doute (hohoho, vous l'avez ?) : on n'est pas venu ici pour repartir avec toutes ses dents.

Worst Doubt, c'est pour ma part un énorme coup de cœur dès leurs deux démos de 2015 et 2017. Un hardcore stéroïdé au metal, ultra-violent, hargneux comme un teckel (à poil dur), bourré de riffs et qui n'oublie jamais de groover : je fonds sur place. Et puis, plus de nouvelles, à part quelques shows survitaminés sur l'YouTube et des teasings réguliers annonçant un album. Ce fut long. Ce fut très long, surtout que des groupes qui manient si bien cet art du hardcore de cave, nourris au Kickback époque Cornered – Forever War, à la scène new-yorkaise des Cro-Mags et autres Merauder ou encore à l'Arkangel des débuts, ça court pas des masses les rues. Et pourtant j'ai cherché dans les pires, de rues (les pires de Saint-Dié-Des Vosges et de Gérardmer, certes, mais les pires quand même).

Et paf, le voilà : le premier album de Worst Doubt. Droit sorti des égouts de Paris, compact et poisseux à souhait. D'ailleurs, est-ce qu'on peut vraiment parler d'album, avec moins de vingt-cinq minutes dont un interlude de trois ? Ben, on sait pas, et surtout on s'en fout. L'important, c'est qu'il reprend les qualités des démos, en plus mieux, avec une solidité de parpaing et une régularité dans la distribution de bourre-pif à en faire pâlir le Lino Ventura le plus irrité.
Après une intro qui annonce la couleur (une minute et tu es déjà en train de t'éclater le talon en cognant du pied sur le sol pour accompagner les toms), on se retrouve face à ce qui n'est plus ou moins qu'une longue série de mandales. Les breaks se suivent mais ne se ressemblent pas : entre le beatdown lourdingue ('Dehumanized' à 01:30, les fins de 'Despise Death' et 'Filth In The Wound'), le break groovy pour balancer les bras comme un demeuré ('Imposter's Reign' à 01:45, 'Crushed' à 01:35, 'The Tormentor' à 0:55) ou encore le palm mute qui serre les dents en roulant des yeux de 'Extinction' à 01:05 (tu feras gaffe, tu baves sur le sol), on a juste l'impression de passer sous un rouleau-compresseur, du genre tandem diesel 2,5 tonnes (oui, cette vanne m'a pris cinq bonnes minutes de recherches)(non, cette phrase n'était pas trop longue). Mais on aime ça, parce qu'on est un peu maso, et parce qu'on a des problèmes personnels et affectifs liés à un sentiment d'impuissance dès le plus jeune âge qui mènent à des symptômes fonctionnels et un trop-plein d'énergie à évacuer. Pardon, je m'égare.

Mais Extinction ne sombre pas dans un vain enchaînement de moshparts pour autant. Avec une pincée de riffing trash/crossover ('Imposter's Reign' et 'Despise Death'), une poignée de leads qui ajoutent à l'ambiance menaçante ('Imposter's Reign' et 'Crushed') et un ou deux solos thrashy bien sentis ('Despise Death'), l'attention ne baisse pas et l'album bénéficie d'une vraie dynamique. C'est d'ailleurs bien ce qui le fait sortir de la masse. Avec par là-dessus une voix aboyée et hargneuse, une batterie écrasante mais groovy (doubles croches sur le charley à gogo, ride qui se fait rider comme jaja) et une production poisseuse mais parfaitement lisible, on a un des albums de l'année, facile, alors qu'on n'est qu'en mars. Mais si, je suis parfaitement objectif.
Maintenant, par pitié, faites qu'on puisse bientôt aller faire le babouin lobotomisé là-dessus en concert.

Amour, crowdkill, zbeul partout. <3

Voice Of Ruin | Acheron


Voice Of Ruin font partie de ces groupes qui rappellent qu'il est bon de mettre tout a priori de côté. Je ne suis pas un très gros consommateur de death, encore moins quand il se fait mélodique et qu'il ne bourrine pas de tous les côtés sans prendre le temps de respirer. Mais là, tout ce que je dirais habituellement, et qui me ferait probablement laisser cet album de côté s'envole, parce que, parlons franchement : c'est une grosse tuerie.

On avait déjà parlé des suisses ici, avec leur précédent effort Purge And Purify. Il frappait déjà où il fallait, mais on augmente le niveau d'un gros cran avec Acheron. A commencer par la production : signée en Suède au Studio Fredman (Dimmu Borgir, At The Gates, Arch Enemy, In Flames...), elle est d'une clarté et d'une puissance assez irréprochable. Guitares parfaitement audibles, batterie qui claque, basse qui ronfle derrière, rien à dire.
Et comme pour la prod, niveau musique, on retrouve tous les ingrédients qui nous avaient fait aimer Purge And Purify : un death mélo ultra efficace, bien balancé entre passages musclés et mélodies bien ficelées. On a sa dose de refrains qui s'impriment dans le cerveau, et de leads mélodiques bien sentis aussi ('Hypochondriac' ou 'Parasomnia') qui apportent des points de repère parmi les riffs aggressifs qui s'enchaînent. Et ça, on en trouve à la pelle, ça n'hésite même pas à sauter des deux pieds dans le metalcore pour des breaks simples mais brise-nuques comme sur 'Thanatophobia', 'Rotting Crows', 'Blessed Be The Fruit' et surtout le final de 'Dark Water' qui donne envie de tout casser chez soi avec même un petit « bleuargh » de rigueur. 'Holy Venom', le meilleur titre de l'album selon moi, pourrait presque servir de mètre étalon au style entre son riff principal ravageur et son refrain qui sent bon l'hymne à scander le poing en l'air. Ajoutez à cela quelques titres un peu plus lourds ('One Way Overdose' et 'Mass Grave'), des tapis de double pédale, des blasts, et une bonne dose de solos qui, s'ils ne révolutionnent rien, font tout de même grand bien quand ils passent, et vous obtenez un disque que vous vous surprendrez à relancer régulièrement. Sans oublier Randy Schaller, dont la voix semble avoir gagné en profondeur et en puissance, et se détache un peu de ses accents lambofgodesques.
Si ce nouvel opus se démarque du précédent par sa qualité d'écriture, il le fait également par son ambiance générale, et notamment par l'ajout de quelques subtiles plages de claviers par-ci par-là. 'Thanatophobia', 'Rotting Crows' et 'Mass Grave' gagnent ainsi un relief et une profondeur supplémentaire qui s'accordent très bien avec la pochette et la traversée mythologique du fleuve maudit Acheron. Au final, même en cherchant à étoffer le propos et à gratter un peu, il est bien difficile de trouver des défauts à cet album, à part peut-être 'Salem' et 'Suffer – Recover', un peu plus mélodiques et moins efficaces – et encore, ce n'est que très subjectif et d'autres que moi trouveront probablement ces titres très bons dans le registre mélo.

Donc, ciao a priori, et bonjour plaisir : je zappe immédiatement ce style habituellement, et pourtant, Acheron revient faire coucou dans mes enceintes très, très souvent depuis sa sortie. Musicalité et technique au poil sans en faire des tonnes, mélodies mémorisées après une écoute, et pour ainsi dire rien à jeter sur un album de quasiment une heure : pourquoi se priver ?

Thy Art Is Murder | Human Target


Jamais un rouleau compresseur n'aura autant été à sa place que sur cette pochette. Entre la chenille de tank géante et la roue d'une évolution trop rapide qu'on ne contrôle plus, il est le moteur de l'humain et sa fin à la fois, et ce n'est pas le charnier de martyrs entassé dans le bas de l'image qui me contredira. On nous annonce autant un fond révolté qu'une musique écrasante, et quoi de mieux qu'un album qui se révèle à la hauteur de ce qu'il promet ?

Deux ans après un Dear Desolation d'une efficacité redoutable mais monotone, à l'image de toute la discographie du groupe, les patrons australiens du deathcore reviennent avec un nouvel opus, sous une pochette toujours aussi alléchante que d'habitude et un changement de batteur. Et enfin, enfin ! Ils nous sortent l'album qu'il fallait. Celui où leur potentiel est vraiment utilisé, où le moteur ronflant laisse place à la brutalité et même à oser placer de vraies ambiances. Bien sûr, on tourne toujours sur une formule de deathcore traditionnel : chugga chuggas sur cordes accordées plus bas que terre, batterie qui tapisse, petits leads mélodiques pour remplir et breakdowns de rigueur. Mais cette fois, l'ennui ne pointe pas son nez au bout de trois titres, les chansons se distinguent les unes des autres, et on se surprend à secouer la tête d'un bout à l'autre ou presque, avec un sourire jusqu'aux oreilles.

Parce que Human Target, c'est un peu le paradis du deathcore. C'est tout vénère, ça groove par moments, ça écrase par d'autres, et avec là-dessus la voix de CJ McMahon, de loin l'une des plus impressionnantes du genre, c'est le bonheur. Les breakdowns sont monstrueux ('Human Target' et 'New Gods'), les leads vous rentrent dans la tête pour ne plus vous lâcher ('Welcome Oblivion' et 'Eye For An Eye'), et le tout est lié par de gros blasts marteau-pilon et la production claire et massive caractéristique au style. Et impossible de ne pas mentionner les deux moments marquants de l'album : 'Death Squad Anthem', hymne complétement irrésistible qui tire dans tout ce qui bouge, et 'Eternal Suffering' qui se démarque vraiment du reste, avec une ambiance désespérée très réussie. Les hurlements de grizzly monocordes soutenus par un lead de fin du monde, les blasts qui rentrent dans les dents quand on s'y attend le moins et ce final à la batterie qui s'éteint dans un crépitement digital en font un des tout meilleurs titres du groupe.

"Kill or be killed / If you won't pull the trigger / Then they fucking will / Everyone is a fucking target."
Oui, il y a deux fois fucking, et pour cause : les australiens sont remontés. A fond. Contre la guerre, contre la religion, contre la guerre de religion, contre l'abrutissement de la masse, contre l'humain belliqueux et égoïste, contre les leaders qui le sont aussi ('Make America Hate Again', à défaut d'être subtile, a le mérite d'être claire)... Tout y passe, à grands coups de phrases cinglantes. McMahon a toujours eu la plume bien aiguisée (les plus anciens titres 'Holy War' et 'They Will Know Another', raaaaaahh), mais il élève encore le niveau d'un cran ici, surtout quand il se centre un peu plus sur lui-même : 'Atonement', déclaration d'amour/haine à ses propres démons, et 'Chemical Christ' qui fait référence à ses déboires passés avec la drogue valent largement un coup d'oeil sur les textes.

Malgré un petit essoufflement en fin d'album, Human Target s'approche méchamment du sans-faute en matière de deathcore pur et dur. Ni dans la débauche de technique, ni dans un registre trop simpliste, il frappe où ça fait mal et balance des titres mémorables et facilement reconnaissables les uns des autres, un luxe que peu de groupes du style peuvent se payer. Après une tournée des grandes salles à grand renfort d'écrans géants et de spots blancs aveuglants, en guerre contre le digital avec le digital, Thy Art Is Murder est maintenant une machine à craindre.

Calligram | The Eye Is The First Circle


[insérez ainsi une intro contenant les mots confinement, covid et claustophobie schizoïde]

...Non mais commencer par parler du virus, tout le monde le fait, et si on attaquait autrement ? Vous savez, ce moment où vous écoutez votre style de metal préféré en vagabondant par les champs dans la fraîcheur de l'aube, tandis que le soleil rougeoie à l'horizon de toute son élégante timidité, et que sur une perle de rosée du matin le viril papillon lutine la frêle papillonne, en clamant du bout de ses antennes « qui c'est qui va s'esbaudir ?!? »
Ouais, ça marche pas, hein ? Bon, dans ce cas : toi aussi tu es enfermé, toi aussi tu te languis devant ta fenêtre avec l'irrépressible envie de te jeter la tête contre les murs, eh ben ça tombe bien, Calligram sont là.

Leur premier effort, l'EP Askesis sorti il y a trois ans, était déjà très prometteur. Une bonne élancée de black crusty à souhait, bien ficelée, avec une voix assez particulière qui ne gâchait rien. Ce premier album, signé Prosthetic Records (en général, ça sent bon ça) est entièrement chanté en italien, par un groupe londonien composé de membres anglais, brésiliens, français et italiens. Ouf. Pourtant, en l'écoutant, on ne voit pas de vols en avion (surtout pas en ce moment – comment ça c'est pas drôle ?), ni de conférences Skype (non, toujours pas ?), mais plutôt une cave sombre surchauffée, avec cinq gars qui crachent tout ce qu'ils ont, la tête dans les amplis.
Plus que dans un cercle, c'est dans une spirale qu'on est pris avec Calligram, comme sur l'intro de 'Carne' ou tout au long de 'Serpe', entre blasts et riffs trémolos tourbillonnants et obsédants. Ajoutez des salves d-beat hargneuses à souhait avec batterie touka-touka et guitare chugga-chugga (mais heureusement aucune trace de waka-waka) sur 'Vivido Perire' notamment, et vous obtenez un mélange ravageur qui emporte tout sur son passage et donne autant envie de serrer les dents pour le black que de taper du pied pour le hardcore. Et la voix ne gâche rien, quasi inhumaine, éraillée jusqu'au sang et elle aussi constante équilibriste entre rage punk et désespoir beumeu.

Evidemment, avec ce mélange, on est tenté de penser aux premiers efforts d'Oathbreaker, ou même à Young And In The Way (groupe cher à mon cœur dont il faudra que je finisse par mentionner sur Thrasho, malgré leur split dans des circonstances pour le moins... peu glorieuses). Mais Calligram fait son propre mélange et réussit à se faire une identité bien à lui, se donnant le luxe de poser des ambiances de fin du monde réussies qui calment un peu le jeu et rythment l'album sur 'Serpe' et 'La Cura'. Ou plutôt, qui donnent l'impression de souffler un peu pour mieux vous sauter à la gorge après. Ca s'essouffle un peu sur la fin, avec la doublette 'Anedonia' – 'Pensiero Debole' qui aurait peut-être pu gagner à être écourtée, mais la dernière piste vient sauver la mise en clôturant le tout d'une dernière salve enragée. Ce petit « pfiou » qu'on lâche quand s'éteint le dernier cri, accentué par deux grosses pêches de cymbales, est toujours le bon signe d'un album délicieusement éprouvant.

Un peu claustro, constamment hargneux, servi par un son profond et très clair malgré la crasse, The Eye Is The First Circle réussit le saut du premier longue-durée avec brio et fait un bien fou dans un style un peu bondé et uniforme ces derniers temps. Si l'artwork de l'EP donnait mille fois plus faim que celui-ci, ne vous y méprenez pas : Calligram vous attend au tournant et ne vous lâchera pas avant la dernière note. On en redemande, même.