vendredi 20 octobre 2017

Gaza | No Absolutes In Human Suffering


          
          En fait, ce disque n'est ni plus ni moins qu'une errance dans le Wasteland, une balade hallucinée et faussement trébuchante sur une Terre atomisée et désertée de toute vie.
          Oui, faussement trébuchante, parce qu'après tout, une énorme partie de Gaza doit sa magnificence à ce batteur constamment sur la brèche, paraissant toujours prêt à taper à côté alors que plus solide, y a pas (ou en tout cas y a peu), et dont le boulot tout en décalage soutient paradoxalement toute la baraque. Mike Mason peut mathiser, déconstruire, diviser les mesures et le tempo autant qu'il voudra, il retombera toujours sur la béquille d'apparence branlante mais renforcée au béton de son frappeur.
          Pour continuer la promenade, quand on erre dans le Wasteland, on croise quelques êtres énucléés et irradiés jusqu'à la moelle, comme le passage central de 'Mostly Hair And Bones Now', 'The Vipers' ou 'The Crown', tour à tour hystériques ou traînant la patte, mais on croise surtout, à intervalles réguliers, de monstrueux boss de fin. Entre 'This We Celebrate' et son ralentissement inhumain, 'Winter In Her Blood' et son break à s'en briser la nuque, ou 'Skull Trophy' et sa basse éléphantesque, vous avez le choix. Quoi que, Gaza ne laisse pas vraiment le choix à qui que ce soit : un disque comme ça, on le subit, avec un masochisme presque maladif, le genre qui vous laisse la bave aux lèvres et les yeux à demi révulsés, à en demander encore.
          Est-ce qu'on essaye de parler de 'No Absolutes In Human Suffering' et 'Routine And Then Death', respectivement colonne vertébrale et point de gravité de l'album ? Parce que dans la catégorie écrasant et hypnotique, il doit y avoir un record de battu là, et même pour Jon Parkin, être balourd et traînant à ce point, c'est un exploit. Tourner en rond sans tourner en rond - oui, ils peuvent le faire.
          Il y avait chez Gaza comme chez personne l'abandon total, la perte de tout espoir et surtout de la volonté de se battre, il ne restait rien d'autre que cette errance sans fin, sans issue aucune, rien d'autre que le néant au bout du chemin. S'il a un bout.


mardi 17 octobre 2017

Nails | Abandon All Life

          
          Un album de Nails sera toujours un album de Nails : délicieusement bestial, rapide et lourd comme un train en pleine face, incisif comme un coup de hache en travers de ladite face, et aussi cruellement qu'heureusement court. Mais si j'ai longtemps considéré que You Will Never Be One Of Us était leur meilleur (notamment parce que c'est le dernier en date, erreur de bleusaille que je commets couramment), celui-ci remonte le (court) classement à chaque écoute, et il va bien falloir l'admettre à un moment ou à un autre : je m'étions gouré.
          Parce que si l'accent thrashy de YWNBOOU semble faire monter Nails d'un cran dans la brutalité, Abandon All Life explose en fait ce seuil à l'aide d'un élément aussi évident que difficile à manier : la simplicité. Sans fioritures (oui, j'utilise "fioritures" en parlant de Nails) ni aucune autre influence que son grind débridé et son hardcore aussi crusty que pachydermique, ce disque n'est rien d'autre qu'un coup de patte de grizzly en pleine tronche, une fulgurante décharge de violence haineuse d'un rouge aussi vif que sa pochette.
          La production joue, évidemment - la guitare et la basse sont d'un massif à te faire bourdonner les oreilles pendant 6 mois, et la batterie donne l'impression de saturer tant Taylor Young la martèle de tout son poids. Todd Jones, fidèle à lui-même, s'arrache les cordes vocales à pleines dents, crachant son fiel sur la société, les posers, les traîtres et les autres, menaçant de cogner tout le monde si on le fait chier. Hardcore, on t'a dit. D'ailleurs, mea culpa bis : j'ai dit que sa voix avait gagné en puissance en devenant plus profonde, elle était en fait déjà vicieusement perçante, ce qui est au moins tout aussi bon.
          La machine à café t'a explosé à la gueule ? T'as passé une journée pourrave au boulot ? T'as été coincé deux heures dans les bouchons ? T'as plus de bière au frigo ? Voilà l'antidote à tout ce qui peut t'arriver de merdique. 

mardi 10 octobre 2017

Cowards | Still

          
          Parler de Cowards sans mentionner le gros K, c'est un exercice auquel tout le monde s'essaye, donc je m'y colle comme tout le monde.
          Du coup, à la place on mentionnera Noé (oui, je triche : ça revient plus ou moins au même), pour l'honnêteté crue, la viande à nu, et les interminables errances dans les rues de nuit (parisiennes, les rues, si possible). Tout ceci en pensant bien évidemment à la corde qu'on accrocherait bien à la poutre là-haut, à ce petit parapet dont on se jetterait bien un de ces jours, ou au calibre qu'on se glisserait bien dans la bouche et dans lequel il reste une balle, les deux autres ayant été utilisées pour abréger la dure vie qui attendait notre fille.
          'Paris Most Nothing', oui. Cowards ne se résume à rien, ne s'apparente à rien, n'aspire à rien : on l'avait senti venir sur Rise To Infamy, à ce stade, Cowards n'est plus qu'une pulsion irréfrénable qui oscille entre meurtre brutal et suicide halluciné. A force de vouloir s'élever jusqu'à l'infamie, on finit par y arriver, la tête la première et les mains dans les poches comme sur la pochette, dans l'indifférence la plus totale malgré tout le bruit qu'on puisse faire.
          Et du bruit, ils en font les gaillards, leur hardcore urbain jouant plus que jamais sur son tranchant black, quitte à appeler les copains - Matthias Jungbluth est sur 'Like Us' plus âpre et sournois que jamais.
          Quand aux deux reprises qui clôturent cet EP court comme un coup de surin, dire d'elles qu'elles justifient le concept même de reprise leur fait à peine honneur. 'Every Breath You Take' ne sera plus jamais entendue de la même façon, maintenant qu'on sait que l'amour dont elle parle vient d'un stalker malsain qui se balance d'avant en arrière, le plic-ploc des gouttes du robinet fuyant lui rappelant que le visage de sa bien-aimée (qu'il vient de taillader en long, en large et en travers) ne sera jamais vraiment à lui. Et pour celle de The Horrorist - est-il vraiment utile de préciser qu'elle défonce ? Pas de manière frontale, évidemment, Cowards sont bien trop malins (et vicieux, oui) pour ça, mais par-derrière, par en-dessous, par où vous voulez, entre sa batterie diaboliquement dansante, sa basse à la limite du prolapsus et sa guitare qui s'infiltre dans vos oreilles comme une colonie de cafards, elle sape vos forces, vous fait sombrer dans une délicieuse inquiétude, en bref, de toute sa saleté infectieuse, elle est réussie.

          Prêts à s'écraser au sol sans avoir pris le temps de voler et d'ailleurs sans jamais en avoir eu l'envie (le caniveau leur semblant apparemment bien plus attirant que le ciel), Cowards se flétrissent avec le temps, se décomposent sur pied, sombrent dans une folie où dangereux et délicieux n'ont jamais aussi bien rimé : ils se bonifient de sortie en sortie.