mercredi 28 décembre 2022

Pogo Car Crash Control | Tête Blême


Des albums profondément ancrés dans Paris, il y en a à la pelle. Parmi les plus marquants de ces derniers temps, on trouve Still de Cowards pour le Paris de Gaspar Noé avec le crack dans le caniveau et le couteau papillon dans la poche, ou encore A Loner de Hangman's Chair pour le Paris triste entre éclairage au néon des arrêts de bus et valises sous les bras ou sous les yeux.
Mais qu'en est-il du Paris des jeunes qui se font chier ? Celui des bouteilles qu'on balance sur les murs des usines, de la colle qu'on sniffe en espérant crever un peu l'ennui, celui des à-peine-adultes et encore trop ados qui n'ont que l'ironie pour tenir le coup ? T'inquiètes papa, P3C arrivent – et ils ont les crocs.

Bon, ils sont arrivés depuis un moment puisque Tête Blême a déjà deux ans, mais je retrouve encore aujourd'hui le même shoot d'adrénaline que lors des premières écoutes. La porte est enfoncée dès 'L'odeur de la mort' et son riff qui donne envie de se jeter la tête la première dans les murs, et des riffs comme ça, il y en a à la pelle, semés sur tout le disque. Le palm mute enragé de 'Miroir', le hardcore tous crocs dehors de 'Ce monde humiliant', la frénésie de 'Pourquoi tu pleures'... C'est une rage juvénile qui porte le disque, adolescente mais totalement décomplexée, jusque dans les paroles qui collent parfaitement à cet esprit.

C'est d'ailleurs les paroles qui apportent ce second degré bienvenu, sans lequel Tête Blême serait sans doute un peu grandiloquent. 'Qu'est-ce qui va pas ?' en est le meilleur exemple, espèce d'hymne complétement barré qui évite avec brio le côté prépubère-qui-chouine et donne juste envie de se laisser porter en brandissant un parpaing. C'est un peu punk, un peu hardcore, vachement grunge, c'est surtout un beau cocktail énergétique qui n'hésite pas à ralentir le tempo pour laisser causer un groove vraiment efficace. Avec une batterie simple mais qui cogne où il faut et une basse qui ronfle à souhait, c'est dur de ne pas se laisser embarquer par la brochette de riffs à la fois gras et nerveux qui nous tombe sur le coin de la tête.

Ils se permettent même en fin de disque une chanson à part, à l'ambiance pesante mais toujours coupée à l'autodérision. 'L'intérieur de ton corps', c'est le titre encore-plus-à-la-Killing-Joke-que-les-autres de Pogo Car Crash Control, qu'ils balancent l'air de rien, un sourire en coin, entre l'hommage et le foutage de gueule, et c'est de loin un des meilleurs de l'album. De vrais sales gosses qui jouent du grunge gratiné au hardcore, mais avec une attitude de millenials des cités, désabusés et goguenards – si Tête Blême est sorti chez Panenka, label sur lequel on a plutôt l'habitude de trouver des Georgio, PLK et autres Therapie Taxi, c'est pas pour rien.

A part quelques titres un peu plus légers que les autres, il n'y a pas grand-chose à jeter sur cet album. Ca part dans tous les sens, ça bastonne non-stop pendant 34 minutes, ça s'assume et ça se fend la gueule tout du long : non, je ne suis pas très objectif au sujet de P3C, mais un disque comme ça, ça s'enfile d'une traite avec un plaisir même pas coupable. Comme le fond de 8,6 qui traînait au fond de ton frigo, entre deux Valium piqués dans la pharmacie de maman.

Comeback Kid | Heavy Steps


Je l'ai déjà dit dans ma chronique de l'album précédent, Outsider : Comeback Kid a marqué mon entrée dans le hardcore, dont je ne suis plus jamais ressorti après y avoir mis un pied. Par contre, si cette chronique était à refaire, j'y changerais bien quelques mots, et je baisserais un peu ma note. Outsider était l'album d'un revirement plus mélodique, moins hargneux, plus ensoleillé pour le Kid ; et si j'ai pu écrire à l'époque que c'était une transition très réussie, avec le temps un sentiment de déception s'est installé. En gros, l'ancien Comeback Kid est vite venu à manquer.
L'urgence de Broadcasting..., le côté punk de Symptoms + Cures, la violence taillée pour le pit de Die Knowing en font des albums quasi-intouchables et que je place très haut dans mon classement hardcore. Outsider, malgré de très bons morceaux et une efficacité toute Kid-esque, fait au final un peu tache dans la discographie. Et Comeback Kid étant vraiment l'unique groupe à sonner comme Comeback Kid, j'espérais qu'ils allaient revenir combler ce vide avec un peu plus de patate sur le prochain.

C'est là qu'on en vient à Heavy Steps. Trois singles dévoilés, trois grosses mandales dans la pure veine des canadiens, avec une rage intacte et même plus poussée que jamais. "Heavy Steps", "No Way Out" et "Crossed" laissaient immédiatement présager d'un album survolté, et le clip jouissif de "Heavy Steps" confirmait cette idée. Moi aussi je veux que Comeback Kid viennent saccager ma fête d'anniversaire en braillant.
Et le reste de l'album ne dépareille pas. On retrouve tout ce qu'on aime chez eux : des riffs un peu thrashy qui donnent envie de courir partout en faisant des grands moulinets avec les bras ('Heavy Steps', cinq secondes après avoir lancé l'album), des hymnes à hurler le poing levé ('Face The Fire', 'Everything Relates', 'Standstill'), et surtout la voix D'Andrew Neufeld, hargneuse et mélodique à la fois, reconnaissable entre mille et qui fait beaucoup de l'identité du groupe depuis son arrivée.

Ce qui change surtout la donne avec cet album, c'est qu'on a à mes yeux (à mes oreilles ?) l'effort le plus énervé qu'ait jamais sorti Comeback Kid. Ca bourre à fond tout le temps, l'intensité ne baisse jamais d'un cran au long des trente minutes, et ce sans jamais larguer l'auditeur. L'attention est sans cesse relancée par une nouvelle idée, un nouveau riff qui envoie, et surtout par une violence qui semble ne faire que s'intensifier dans la seconde moitié de l'album. L'enchaînement 'Dead On The Fence', 'Shadow Of Doubt', 'True To Form' et 'In-Between' est un grand moment de hardcore, les quatre titres sont sans temps morts et ne pardonnent rien, entre punk-hardcore bien speed et gros breakdowns lourdingues (ce break sur 'In-Between' où Neufeld s'arrache les cordes vocales, raaaah).
On trouve même un côté quasi-beatdown à base de palm mute très menaçant qui est nouveau chez les canadiens, notamment dans les breaks de 'Face The Fire', de 'Dead On The Fence' ou de 'True To Form'. Tout a été pensé pour casser des bouches, et le feat de 'Crossed' en dit long : c'est bien sieur Joe Duplantier qui est venu hurler en arrière-plan, et sans aucun doute influencer le riff du morceau. Le second feat de JJ Peters, rappeur-crieur de Deez Nuts, s'il m'a beaucoup enthousiasmé à son annonce, est plus anecdotique : on l'entend à peine dans le mix, et la chanson est sans doute la moins intéressante de l'album. Un petit couplet à lui n'aurait pas été de trop.

On ajoute à tout ça un son massif à souhait, qui fait la part belle à la voix de Neufeld et aux rythmiques de guitare avec une basse un peu plus ronflante que d'habitude, et on obtient un monstre. Mentions spéciales à la caisse claire qui semble prendre la raclée de sa vie, et au jeu ultra-carré et intelligent de Loren Legare, cogneur qui a rejoint l'équipe juste après l'album Die Knowing et qui rend vraiment la section rythmique plus intéressante.

Se ramollir après 20 ans de carrière ? Pourquoi faire ? Comeback Kid n'a jamais aussi bien porté son nom. Après une petite baisse de régime sur Outsider, ces piliers du genre réussissent un vrai retour en force et balancent leur album le plus intense à ce jour, en rassurant ceux qui comme moi les préfèrent toutes dents dehors et prêts à tout mettre à sac partout où ils passent. Le punk hardcore a encore de beaux jours devant lui.

Worst Doubt | Extinction


En voilà un album qu'il sent bon le caniveau, la zone industrielle pérave et le bitume dans tous ses états. Entre l'artwork abusif, le titre qui vit avec son époque et le logo façon graffiti post-apocalyptique, y a point de doute (hohoho, vous l'avez ?) : on n'est pas venu ici pour repartir avec toutes ses dents.

Worst Doubt, c'est pour ma part un énorme coup de cœur dès leurs deux démos de 2015 et 2017. Un hardcore stéroïdé au metal, ultra-violent, hargneux comme un teckel (à poil dur), bourré de riffs et qui n'oublie jamais de groover : je fonds sur place. Et puis, plus de nouvelles, à part quelques shows survitaminés sur l'YouTube et des teasings réguliers annonçant un album. Ce fut long. Ce fut très long, surtout que des groupes qui manient si bien cet art du hardcore de cave, nourris au Kickback époque Cornered – Forever War, à la scène new-yorkaise des Cro-Mags et autres Merauder ou encore à l'Arkangel des débuts, ça court pas des masses les rues. Et pourtant j'ai cherché dans les pires, de rues (les pires de Saint-Dié-Des Vosges et de Gérardmer, certes, mais les pires quand même).

Et paf, le voilà : le premier album de Worst Doubt. Droit sorti des égouts de Paris, compact et poisseux à souhait. D'ailleurs, est-ce qu'on peut vraiment parler d'album, avec moins de vingt-cinq minutes dont un interlude de trois ? Ben, on sait pas, et surtout on s'en fout. L'important, c'est qu'il reprend les qualités des démos, en plus mieux, avec une solidité de parpaing et une régularité dans la distribution de bourre-pif à en faire pâlir le Lino Ventura le plus irrité.
Après une intro qui annonce la couleur (une minute et tu es déjà en train de t'éclater le talon en cognant du pied sur le sol pour accompagner les toms), on se retrouve face à ce qui n'est plus ou moins qu'une longue série de mandales. Les breaks se suivent mais ne se ressemblent pas : entre le beatdown lourdingue ('Dehumanized' à 01:30, les fins de 'Despise Death' et 'Filth In The Wound'), le break groovy pour balancer les bras comme un demeuré ('Imposter's Reign' à 01:45, 'Crushed' à 01:35, 'The Tormentor' à 0:55) ou encore le palm mute qui serre les dents en roulant des yeux de 'Extinction' à 01:05 (tu feras gaffe, tu baves sur le sol), on a juste l'impression de passer sous un rouleau-compresseur, du genre tandem diesel 2,5 tonnes (oui, cette vanne m'a pris cinq bonnes minutes de recherches)(non, cette phrase n'était pas trop longue). Mais on aime ça, parce qu'on est un peu maso, et parce qu'on a des problèmes personnels et affectifs liés à un sentiment d'impuissance dès le plus jeune âge qui mènent à des symptômes fonctionnels et un trop-plein d'énergie à évacuer. Pardon, je m'égare.

Mais Extinction ne sombre pas dans un vain enchaînement de moshparts pour autant. Avec une pincée de riffing trash/crossover ('Imposter's Reign' et 'Despise Death'), une poignée de leads qui ajoutent à l'ambiance menaçante ('Imposter's Reign' et 'Crushed') et un ou deux solos thrashy bien sentis ('Despise Death'), l'attention ne baisse pas et l'album bénéficie d'une vraie dynamique. C'est d'ailleurs bien ce qui le fait sortir de la masse. Avec par là-dessus une voix aboyée et hargneuse, une batterie écrasante mais groovy (doubles croches sur le charley à gogo, ride qui se fait rider comme jaja) et une production poisseuse mais parfaitement lisible, on a un des albums de l'année, facile, alors qu'on n'est qu'en mars. Mais si, je suis parfaitement objectif.
Maintenant, par pitié, faites qu'on puisse bientôt aller faire le babouin lobotomisé là-dessus en concert.

Amour, crowdkill, zbeul partout. <3

Voice Of Ruin | Acheron


Voice Of Ruin font partie de ces groupes qui rappellent qu'il est bon de mettre tout a priori de côté. Je ne suis pas un très gros consommateur de death, encore moins quand il se fait mélodique et qu'il ne bourrine pas de tous les côtés sans prendre le temps de respirer. Mais là, tout ce que je dirais habituellement, et qui me ferait probablement laisser cet album de côté s'envole, parce que, parlons franchement : c'est une grosse tuerie.

On avait déjà parlé des suisses ici, avec leur précédent effort Purge And Purify. Il frappait déjà où il fallait, mais on augmente le niveau d'un gros cran avec Acheron. A commencer par la production : signée en Suède au Studio Fredman (Dimmu Borgir, At The Gates, Arch Enemy, In Flames...), elle est d'une clarté et d'une puissance assez irréprochable. Guitares parfaitement audibles, batterie qui claque, basse qui ronfle derrière, rien à dire.
Et comme pour la prod, niveau musique, on retrouve tous les ingrédients qui nous avaient fait aimer Purge And Purify : un death mélo ultra efficace, bien balancé entre passages musclés et mélodies bien ficelées. On a sa dose de refrains qui s'impriment dans le cerveau, et de leads mélodiques bien sentis aussi ('Hypochondriac' ou 'Parasomnia') qui apportent des points de repère parmi les riffs aggressifs qui s'enchaînent. Et ça, on en trouve à la pelle, ça n'hésite même pas à sauter des deux pieds dans le metalcore pour des breaks simples mais brise-nuques comme sur 'Thanatophobia', 'Rotting Crows', 'Blessed Be The Fruit' et surtout le final de 'Dark Water' qui donne envie de tout casser chez soi avec même un petit « bleuargh » de rigueur. 'Holy Venom', le meilleur titre de l'album selon moi, pourrait presque servir de mètre étalon au style entre son riff principal ravageur et son refrain qui sent bon l'hymne à scander le poing en l'air. Ajoutez à cela quelques titres un peu plus lourds ('One Way Overdose' et 'Mass Grave'), des tapis de double pédale, des blasts, et une bonne dose de solos qui, s'ils ne révolutionnent rien, font tout de même grand bien quand ils passent, et vous obtenez un disque que vous vous surprendrez à relancer régulièrement. Sans oublier Randy Schaller, dont la voix semble avoir gagné en profondeur et en puissance, et se détache un peu de ses accents lambofgodesques.
Si ce nouvel opus se démarque du précédent par sa qualité d'écriture, il le fait également par son ambiance générale, et notamment par l'ajout de quelques subtiles plages de claviers par-ci par-là. 'Thanatophobia', 'Rotting Crows' et 'Mass Grave' gagnent ainsi un relief et une profondeur supplémentaire qui s'accordent très bien avec la pochette et la traversée mythologique du fleuve maudit Acheron. Au final, même en cherchant à étoffer le propos et à gratter un peu, il est bien difficile de trouver des défauts à cet album, à part peut-être 'Salem' et 'Suffer – Recover', un peu plus mélodiques et moins efficaces – et encore, ce n'est que très subjectif et d'autres que moi trouveront probablement ces titres très bons dans le registre mélo.

Donc, ciao a priori, et bonjour plaisir : je zappe immédiatement ce style habituellement, et pourtant, Acheron revient faire coucou dans mes enceintes très, très souvent depuis sa sortie. Musicalité et technique au poil sans en faire des tonnes, mélodies mémorisées après une écoute, et pour ainsi dire rien à jeter sur un album de quasiment une heure : pourquoi se priver ?

Thy Art Is Murder | Human Target


Jamais un rouleau compresseur n'aura autant été à sa place que sur cette pochette. Entre la chenille de tank géante et la roue d'une évolution trop rapide qu'on ne contrôle plus, il est le moteur de l'humain et sa fin à la fois, et ce n'est pas le charnier de martyrs entassé dans le bas de l'image qui me contredira. On nous annonce autant un fond révolté qu'une musique écrasante, et quoi de mieux qu'un album qui se révèle à la hauteur de ce qu'il promet ?

Deux ans après un Dear Desolation d'une efficacité redoutable mais monotone, à l'image de toute la discographie du groupe, les patrons australiens du deathcore reviennent avec un nouvel opus, sous une pochette toujours aussi alléchante que d'habitude et un changement de batteur. Et enfin, enfin ! Ils nous sortent l'album qu'il fallait. Celui où leur potentiel est vraiment utilisé, où le moteur ronflant laisse place à la brutalité et même à oser placer de vraies ambiances. Bien sûr, on tourne toujours sur une formule de deathcore traditionnel : chugga chuggas sur cordes accordées plus bas que terre, batterie qui tapisse, petits leads mélodiques pour remplir et breakdowns de rigueur. Mais cette fois, l'ennui ne pointe pas son nez au bout de trois titres, les chansons se distinguent les unes des autres, et on se surprend à secouer la tête d'un bout à l'autre ou presque, avec un sourire jusqu'aux oreilles.

Parce que Human Target, c'est un peu le paradis du deathcore. C'est tout vénère, ça groove par moments, ça écrase par d'autres, et avec là-dessus la voix de CJ McMahon, de loin l'une des plus impressionnantes du genre, c'est le bonheur. Les breakdowns sont monstrueux ('Human Target' et 'New Gods'), les leads vous rentrent dans la tête pour ne plus vous lâcher ('Welcome Oblivion' et 'Eye For An Eye'), et le tout est lié par de gros blasts marteau-pilon et la production claire et massive caractéristique au style. Et impossible de ne pas mentionner les deux moments marquants de l'album : 'Death Squad Anthem', hymne complétement irrésistible qui tire dans tout ce qui bouge, et 'Eternal Suffering' qui se démarque vraiment du reste, avec une ambiance désespérée très réussie. Les hurlements de grizzly monocordes soutenus par un lead de fin du monde, les blasts qui rentrent dans les dents quand on s'y attend le moins et ce final à la batterie qui s'éteint dans un crépitement digital en font un des tout meilleurs titres du groupe.

"Kill or be killed / If you won't pull the trigger / Then they fucking will / Everyone is a fucking target."
Oui, il y a deux fois fucking, et pour cause : les australiens sont remontés. A fond. Contre la guerre, contre la religion, contre la guerre de religion, contre l'abrutissement de la masse, contre l'humain belliqueux et égoïste, contre les leaders qui le sont aussi ('Make America Hate Again', à défaut d'être subtile, a le mérite d'être claire)... Tout y passe, à grands coups de phrases cinglantes. McMahon a toujours eu la plume bien aiguisée (les plus anciens titres 'Holy War' et 'They Will Know Another', raaaaaahh), mais il élève encore le niveau d'un cran ici, surtout quand il se centre un peu plus sur lui-même : 'Atonement', déclaration d'amour/haine à ses propres démons, et 'Chemical Christ' qui fait référence à ses déboires passés avec la drogue valent largement un coup d'oeil sur les textes.

Malgré un petit essoufflement en fin d'album, Human Target s'approche méchamment du sans-faute en matière de deathcore pur et dur. Ni dans la débauche de technique, ni dans un registre trop simpliste, il frappe où ça fait mal et balance des titres mémorables et facilement reconnaissables les uns des autres, un luxe que peu de groupes du style peuvent se payer. Après une tournée des grandes salles à grand renfort d'écrans géants et de spots blancs aveuglants, en guerre contre le digital avec le digital, Thy Art Is Murder est maintenant une machine à craindre.

Calligram | The Eye Is The First Circle


[insérez ainsi une intro contenant les mots confinement, covid et claustophobie schizoïde]

...Non mais commencer par parler du virus, tout le monde le fait, et si on attaquait autrement ? Vous savez, ce moment où vous écoutez votre style de metal préféré en vagabondant par les champs dans la fraîcheur de l'aube, tandis que le soleil rougeoie à l'horizon de toute son élégante timidité, et que sur une perle de rosée du matin le viril papillon lutine la frêle papillonne, en clamant du bout de ses antennes « qui c'est qui va s'esbaudir ?!? »
Ouais, ça marche pas, hein ? Bon, dans ce cas : toi aussi tu es enfermé, toi aussi tu te languis devant ta fenêtre avec l'irrépressible envie de te jeter la tête contre les murs, eh ben ça tombe bien, Calligram sont là.

Leur premier effort, l'EP Askesis sorti il y a trois ans, était déjà très prometteur. Une bonne élancée de black crusty à souhait, bien ficelée, avec une voix assez particulière qui ne gâchait rien. Ce premier album, signé Prosthetic Records (en général, ça sent bon ça) est entièrement chanté en italien, par un groupe londonien composé de membres anglais, brésiliens, français et italiens. Ouf. Pourtant, en l'écoutant, on ne voit pas de vols en avion (surtout pas en ce moment – comment ça c'est pas drôle ?), ni de conférences Skype (non, toujours pas ?), mais plutôt une cave sombre surchauffée, avec cinq gars qui crachent tout ce qu'ils ont, la tête dans les amplis.
Plus que dans un cercle, c'est dans une spirale qu'on est pris avec Calligram, comme sur l'intro de 'Carne' ou tout au long de 'Serpe', entre blasts et riffs trémolos tourbillonnants et obsédants. Ajoutez des salves d-beat hargneuses à souhait avec batterie touka-touka et guitare chugga-chugga (mais heureusement aucune trace de waka-waka) sur 'Vivido Perire' notamment, et vous obtenez un mélange ravageur qui emporte tout sur son passage et donne autant envie de serrer les dents pour le black que de taper du pied pour le hardcore. Et la voix ne gâche rien, quasi inhumaine, éraillée jusqu'au sang et elle aussi constante équilibriste entre rage punk et désespoir beumeu.

Evidemment, avec ce mélange, on est tenté de penser aux premiers efforts d'Oathbreaker, ou même à Young And In The Way (groupe cher à mon cœur dont il faudra que je finisse par mentionner sur Thrasho, malgré leur split dans des circonstances pour le moins... peu glorieuses). Mais Calligram fait son propre mélange et réussit à se faire une identité bien à lui, se donnant le luxe de poser des ambiances de fin du monde réussies qui calment un peu le jeu et rythment l'album sur 'Serpe' et 'La Cura'. Ou plutôt, qui donnent l'impression de souffler un peu pour mieux vous sauter à la gorge après. Ca s'essouffle un peu sur la fin, avec la doublette 'Anedonia' – 'Pensiero Debole' qui aurait peut-être pu gagner à être écourtée, mais la dernière piste vient sauver la mise en clôturant le tout d'une dernière salve enragée. Ce petit « pfiou » qu'on lâche quand s'éteint le dernier cri, accentué par deux grosses pêches de cymbales, est toujours le bon signe d'un album délicieusement éprouvant.

Un peu claustro, constamment hargneux, servi par un son profond et très clair malgré la crasse, The Eye Is The First Circle réussit le saut du premier longue-durée avec brio et fait un bien fou dans un style un peu bondé et uniforme ces derniers temps. Si l'artwork de l'EP donnait mille fois plus faim que celui-ci, ne vous y méprenez pas : Calligram vous attend au tournant et ne vous lâchera pas avant la dernière note. On en redemande, même.

Contre-Feux | Mort/Vivant


Il y a des albums qui s’apprivoisent, qui intriguent puis nécessitent plusieurs écoutes pour être assimilés et révéler leur potentiel. Des albums qui demandent de la patience, du travail même pour être compris, et pour qu’on réalise qu’on les aime vraiment bien. Mort/Vivant n’en fait pas, mais vraiment pas du tout partie.

Contre-Feux, c’est un mystère. Totalement inconnus au bataillon, et découverts au pif total sur internet. Quelques recherches plus tard, on n’est pas plus avancé : inexistants sur les réseaux sociaux, pas de label, rien d’autre qu’une page bandcamp avare en infos. Ils viennent de Bordeaux, et on tient ici leur première production gratos et uniquement disponible en digital, dont l’écriture et l’enregistrement se sont apparemment étalés sur cinq ans. Il ne reste donc qu’à parler de ce qui nous intéresse vraiment ici, au final : la musique.

Et Contre-Feux, outre un mystère, c’est un coup de coeur instantané. En quelques notes, j’étais accroché. On se mange un screamo un peu mélo, un peu punk, un peu emo, enragé et toujours dans l’urgence, et surtout qui tape toujours juste. Des chansons comme ‘Mort/Vivant’ enlacent le désespoir à lui en fêler les côtes, d’autres comme ‘Sous les ongles’ se débattent, dans le vide peut-être, mais avec hargne. Dans tous les cas, ça cogne dur, et vite la plupart du temps, ça s’offre même quelques petits blasts par-ci par-là, et les riffs s’enchaînent sans laisser le temps de souffler, avec de grands moments de guitare énervée : sur ‘Chaque phalange tombée’ à 00:55, sur l’intro de ‘Mort/Vivant’ et sur ‘Sous les ongles’ dans son intégralité… on trouve son compte.
Mais ce sont surtout les mélodies de Contre-Feux qui retiennent l’attention. Les bougres savent y faire, et ils en tartinent leur album, ce qui achève de rythmer les titres et, surtout, les rend mémorables. ‘Pour qui on se crève les mains’ et ‘On enterre pas les fantômes’, en particulier, sont monstrueuses de ce point de vue.
Les textes aussi valent bien un petit coup d’oeil, révoltés et plus branchés politique que peines de coeur, ils apportent un petit plus au côté désespéré de la musique. On pense évidemment à Birds In Row, dans la façon de crier par moments, et de manière flagrante sur l’intro de ‘Qu’ils crèvent’. Mais on note surtout que Contre-Feux en imposent et balancent comme ça, l’air de rien, un album qui n’a absolument pas une allure de premier jet, de la qualité du son à celle de la musique.

Alors les gars, ne faites pas de comm’, restez planqués, inexistants même si ça vous chante, mais soyez de ces fantômes qu’on n’enterre pas, et par pitié, des petits bijoux comme ça, faites-nous-en deux par an.

Vein | Errorzone


Décidément, 2018 est une année qui a fait du bien au hardcore. Après l’excellent Only Self de Jesus Piece qui remettait les choses en place au niveau lourdeur, il est plus que temps de causer du monstre lâché par Vein, Errorzone, qui pour sa part vient donner une bonne leçon de chaos et de new-old-school à tout le monde.

Le jeune groupe, formé à Boston en 2013, balance un hardcore ultraviolent, sans répit ou presque, d’une façon méthodique, précise, glaciale, fidèle à la pochette en fait : l’impression de passer au scalpel.
Vein attaquent de front, histoire de faire comprendre dès le début à quoi on a affaire : un coup de boîte à rythmes un peu jungle, et les cervicales commencent directement à travailler entre gros riffs qui ne paraîtraient pas déplacés sur un album de metalcore, batterie complétement frénétique et voix arrachée qui balance ses tripes. On pense, surtout sur les quelques premiers titres, pas mal au premier album de Slipknot avec cette façon de balancer entre riffs bien speed et courtes injections d’électro pour un rendu ultra nerveux. Avec en plus un côté très chaotique, des riffs qui ne traînent jamais plus de quelques mesures, des rythmiques qui se brisent à longueur de temps, de quoi ne pas s’ennuyer et ne jamais laisser l’auditeur s’habituer à quoi que ce soit.

Mais il faut attendre le troisième morceau, ‘Rebirth Protocol’, pour qu’apparaisse ce qui fait de Errorzone un album à part : son ambiance moderne et glaciale, en grande partie grâce à cette guitare torturée, aigüe, lancinante, tranchante, qui se loge dans un coin du cerveau pour ne plus en ressortir. On retrouve cette atmosphère lors de l’interlude ‘Aneshesia’ et sa sirène menaçante, tout au long de ‘Demise Automation’, sur la fin de ‘End Eternal’… Et c’est là que Vein se fait le plus intéressant, avec un côté automatique et robotique dérangeant et d’une froideur écrasante. Les passages mélodiques ne sont pas en trop non plus, apportent un peu de répit et sont même franchement réussis : le chant plaintif de ‘Untitled’ rappelle les Deftones, et la fin de ‘Errorzone’ débarque de nulle part avec une mélodie mélancolique qui trouve pourtant parfaitement sa place grâce à cette guitare qui, décidément, fait une énorme partie de la magie de ce groupe.

Le reste du temps, au programme, c’est hardcore, et pas pour déconner. Les moshparts sont nombreuses et irrésistibles (l’intro de ‘Old Data In A Dead Machine’, la fin de ‘Demise Automation’, celle de ‘End Eternal’), la voix est au poil, aigüe et déchirée à souhait, contrebalancée par moments par les growls du guitariste, et la basse soutient le tout d’un bourdonnement dans la plus pure tradition du style. Mention spéciale à mon moment favori de l’album, celui qui me fait disjoncter à chaque fois et me donne envie de tout casser : le passage central de ‘Doomtech’, avec son riff en palm mute qui fait serrer les dents et le chanteur qui hurle à s’en faire péter les veines (haha) « everytime I close my eyes, I crash a thousand cars and all my loved ones die ». Que du fun.
Mais si c’est la guitare qui donne à Errorzone son ambiance caractéristique, c’est la batterie qui lui donne son énergie. Ce batteur est une vraie bête, qui sait cogner et écraser (cette caisse claire qui se fait éclater, raaahh), s’étaler partout sans en faire trop, mais aussi groover quand il faut : ‘Rebirth Protocol’ et ‘Anesthesia’ en sont les meilleurs exemples.

Vein, c’est la machine de la modernité qui s’emballe, l’ère du numérique qui nous dépasse, c’est Skynet qui vient nous éliminer un par un. C’est un groupe qui vient donner un grand air de fraîcheur dans le hardcore tout en rappelant à tout le monde ce qu’on a aimé dans le néo-métal. Que demander de plus ?

Whitechapel | The Valley


J'ai déjà crié haut et fort mon amour pour Whitechapel. Un des premiers groupes à m'avoir mis aussi brutalement à l'amende, initiateur de mon gros faible pour le deathcore, énormes mandales en concert, voilà pour le récapitulatif. Alors après avoir été vraiment pas mal déçu par le dernier en date, Mark Of The Blade, leur premier album à ne pas avoir tourné en boucle chez moi, j'appréhendais méchamment ce nouvel opus. Mais je vends la mèche tout de suite : Whitechapel est de retour, et plus immense que jamais.

Parce que dès la première piste, 'When A Demon Defiles A Witch' (remarquez qu'avec un titre pareil, elle ne pouvait pas être foncièrement mauvaise), ça sent bon. Ca sent très très bon, c'est même déjà meilleur que l'intégralité de l'album précédent. Riffs au poil, blasts de tous les côtés, Phil Bozeman qui se remet à basculer entre son growl légendaire et des aigus à l'ancienne, et surtout véritables frissons à la première écoute : l'appréhension se mue en bon pressentiment. Ce premier titre est en fait un résumé parfait du nouveau virage opéré par le groupe sur ce disque, on y reviendra plus tard.
Et au fil des chansons, le bon pressentiment laisse place au soulagement et à un sourire béat : Whitechapel a retrouvé sa voie, les grands patrons du deathcore sont de retour. 'Forgiveness Is Weakness' est une série d'uppercuts dans la plus pure tradition du groupe avec ses riffs saccadés, ses lignes mélodiques sur le refrain et son breakdown mastoc comme seuls eux savent le faire, et 'Brimstone' est probablement une des chansons les plus lourdingues qu'ils aient jamais écrites. L'intro avec son riff de dix tonnes et son growl impressionnant suffit à s'en convaincre. La piste bonus disponible sur une des éditions vinyles, 'Sea Of Trees', est une énorme et brève décharge de violence débridée qui aurait bien mérité sa place sur l'album.
Même lorsque les chansons se font plus simples et groovy, comme sur Mark Of The Blade qui souffrait de grands moments d'ennui, l'exercice est cette fois réussi haut la main. 'Black Bear' est paradoxalement un de mes titres favoris, forte de son riff bondissant et de son «put me six feet deep» que je scande à chaque fois en donnant des coups de pied partout comme un demeuré. Seule 'The Other Side' est un peu plus dispensable, mais se rattrape avec un solo très rock'n'roll assez épique et un final qui fait tout de même son petit effet chez moi. I am godliiiiiiiiike!!!
On trouve d'autres très bons soli sur 'Doom Woods' et 'When A Demon Defiles A Witch', juste après la partie calme.

... Et là, on en arrive à ce qui fait couler pas mal d'encre sur Whitechapel depuis la sortie de Mark Of The Blade. Non, ils n'ont pas abandonné les titres plus calmes et le chant clair, au contraire. Cette première chanson le prouve parfaitement : le refrain et sa surcouche de chant quasi-clair me file des frissons à chaque fois, et sa partie centrale où le chant grave et posé de Bozeman fait clairement penser au Corey Taylor moderne apporte une nouvelle dynamique à la violence ambiante, et est surtout parfaitement intégrée. Des titres de deathcore avec ce genre de passages qui ne me font pas hurler au scandale et qui passent aussi aisément, j'en connais peu.
Soyons honnêtes : quand j'écoute Whitechapel, des chansons comme 'Hickory Creek', entièrement chantée, ou 'Third Depth', sorte de 'Bring Me Home' 2.0, ne sont pas ce que je recherche en premier lieu. Mais cette fois, ça coule tout seul, c'est parfaitement à sa place, et ça crée une véritable ambiance.

Car c'est là le maître mot, celui qui fait que The Valley va faire date dans la discographie de Whitechapel : l'ambiance. Pour la première fois, les brutes du Tennessee ne se contentent pas d'un enchaînement de roustes mais offrent un album fleuve, avec une véritable dynamique, des hauts et des bas, et surtout une histoire à raconter.
Phil Bozeman déverse tout ce qu'il a sur le coeur, son passé cauchemardesque qui avait déjà fait quelques apparitions dans ses paroles acérées. La mort de son père, son beau-père abusif (le fameux 'Black Bear'), la maladie mentale puis la mort également de sa mère dont les carnets intimes ont alimenté certains textes, sa chambre hantée de souvenirs noirs au sous-sol de sa maison (le 'Third Depth'), la vallée de Knoxville où il a grandi... Cet album est fourni de ses démons, de son amour pour sa mère, de la haine qui l'a fait tenir, d'une pure énergie sombre qui donnent tout leur sens à la violence comme aux ballades du disque. Les albums de metal qui me transcendent le plus ont toujours été ceux qui prennent leur force dans la réalité, dans des histoires personnelles qui touchent droit au coeur, et ici Whitechapel frappent en plein dedans.

Le son du disque mérite également qu'on en cause : pour la première fois depuis longtemps, ça sonne chaud et organique, très loin du côté froid et mécanique habituel au groupe. Toujours sans batteur fixe depuis le départ de Ben Harclerode, c'est cette fois Navene Koperweis, connu chez Animals As Leaders et Entheos, qui tient les baguettes, et son jeu est excellent, bourré de breaks puissants, servi par un son de batterie très rond et naturel qui fait beaucoup, beaucoup de bien dans un style habituellement très robotisé.

Quoi de plus satisfaisant qu'un énorme groupe qui retrouve son génie après un gros passage à vide ? Avec The Valley, Whitechapel se paie un retour dantesque sur le devant de la scène et montre à tout le monde qu'il mérite toujours amplement sa couronne de rois du deathcore, en assumant pleinement ses nouvelles influences. Le ressort du bouton replay va encore en prendre un sacré coup.

Cult Leader | A Patient Man


Je rampe. Genoux et mains à vif, ongles retournés et arrachés, le ventre qui frotte contre la terre sèche, je rampe. Je dois arriver jusqu'à cette caverne.

Car le Leader est de retour. Rouge, palpitant, brûlant, avec ses deux yeux d'un blanc éclatant comme deux phares qui tétaniseraient n'importe quel homme comme un vulgaire gibier. Le Leader est revenu, Il s'est fait attendre, mais l'accouchement d'un monstre pareil ne pouvait pas se faire à la hâte.

Je rampe encore. Mon sang se mêle à la poussière, ma bouche est sèche, la gorge me brûle. Ma salive a formé une pâte épaisse qui bloque ma respiration. Arrivé à l'entrée de la caverne, je me redresse sur les genoux dans un râle. J'avance.

Et immédiatement la puissance du Leader m'apparaît. Je ne le vois pas encore, mais son souffle dévastateur m'écrase déjà, comme s'Il voulait me rappeler avant même que je ne l'atteigne que personne ne peut égaler sa colère. De tous ses tambours, de tous ses cornets et trompettes, de sa Voix toujours plus profonde et rugissante à chacune de ses apparitions, il m'envoie rouler en arrière d'une première salve hypnotique et tourbillonnante. HEAL ME. HEAL ME. HEAL ME.

Le dos marqué par les cailloux, haletant, je me redresse et avance péniblement de quelques mètres, tandis qu'Il m'assène sans répit une deuxième série de coups martelés, et me hurle à nouveau au visage d'un souffle brûlant. Mutilate me. Cut me open. Let me spill my truth into the dust. Sa rage me frappe de plein fouet comme une lame de fond, se déverse en moi sans que je ne puisse rien faire d'autre que la subir. Elle se ralentit, accélère à nouveau, se fait tantôt lancinante, tantôt cinglante, comme s'Il voulait me tenir à l'écart, m'empêcher de l'approcher, de le comprendre. ALL I WANT IS EVERYTHING.

Mais j'aime le Leader. Je veux apprendre ses cantiques, assimiler ses rythmes et ses déstructurations, le laisser me transpercer de toute sa haine pour être libéré de la mienne. Alors j'avance encore, je pénètre dans l'obscurité sans fond de sa caverne.

Et c'est pourtant là, isolated in the land of milk and honey, que je vois apparaître la Lumière. La Voix du Leader se fait plus perçante, sa Mélodie s'éclaire, semble s'épanouir et s'étirer, et je me trouve transporté loin de ma prison de chair, loin de toute sensation physique, là où le crépuscule est éternel et les nuages tissés de fils d'or. Le calme se fait peu à peu, et Il me caresse de ses murmures, m'apaise, fait pleuvoir sur moi un sang clair qui apaise ma soif. In a world of joy, je crois pouvoir me reposer.

Mais je l'entends à nouveau. J'entends son grondement animal, profond, qui me ramène sur terre, plus bas que terre, qui revient me lacérer, m'écraser, me marteler de coups. Cut deep and lick the pain. Me revoilà au fond de cette caverne, et le souffle fétide du Leader ne m'a jamais semblé aussi proche, je sens son regard incolore qui me pénètre, ses dents qui s'entrechoquent... Je sens toute sa présence, l'infinie puissance qui en émane, et je sais qu'Il fera de ma souffrance la sienne. He will share my pain, together we will weep. Mes poumons emplis de sang, mes os brisés comme du verre, tout mon corps réduit à l'état d'une pulpe de chair tremblante, je ne ressens plus rien, plus rien que sa grandeur.

Et alors que j'allais fermer les yeux, le Leader s'élève et se prépare à repartir. Il s'élève et m'élève avec lui, nous baignons tous les deux dans sa Lumière teintée de désespoir. All warmth has gone from this place. Il sait. Il connaît toutes mes peines et toutes mes cicatrices, et il m'en libère avant de me quitter. Une dernière fois, il me réchauffe des rayons de son soleil sombre, prêt à s'éteindre.

Je me réveille, et plus rien ne m'entoure. La caverne a disparu, le Leader s'en est allé. La douleur n'est plus qu'un lointain souvenir, ma peau est immaculée, mes membres fonctionnent, comme si rien ne s'était passé. Je me relève sur mes deux jambes, et je commence à marcher.

The road is endless and paved in misery
Tears fall and turn to glass
Yet we must walk on
Step after merciless step we’re shredded to the bone
We bleed
We grow callus
Our great reward is waiting
Shining bright in the distance
We must walk on.

Jesus Piece | Only Self

 

Jesus Piece. Une seule question se pose ici : arriveront-ils à être aussi sauvages que le jeu de mots qui compose leur nom ?

EH BEN OUAIS. La couleur est annoncée, et les promesses sont tenues : point de paix ici, que des morceaux qui volent dans tous les sens. Des morceaux de quoi ? Des morceaux de ce que vous voulez, le groupe de Philadelphie détruit de toute façon tout sur son passage.

Dès ‘Lucid’, tout est lâché à fond, des fûts martelés à mort à la voix brutale au possible, et c’est parti pour tout fracasser dans son salon en tapant du pied (non ? Y a que moi qui fais ça ?) pour les trois quarts des titres. Rien de bien particulier à dire sur cette première moitié du disque, à part que Jesus Piece a tout compris au hardcore : on ne cherche pas à révolutionner quoi que ce soit, et on mise tout sur l’efficacité.

Et là-dessus, bingo, les riffs sont en béton armé, la batterie se prend pour un marteau-pilon à vapeur, la basse vous tire vers le bas par les entrailles et la voix vous hurle dans les oreilles des slogans sympatoches tels que « WAKE, WORK, BREAK, SUFFER » : tous les ingrédients sont réunis, la sauce prend, le pit n’attend que vous. La tradition voudrait que je vous fasse ici une petite liste d’instants de bravoure avec time codes et descriptifs juteux, mais avec un album pareil, il faut pas déconner, vous prenez n’importe quel titre, vous attendez quinze secondes, et vous avez une moshpart de barbare qui vous tombe sur le coin de la tronche en ricanant parce que vous ne l’avez même pas vue venir. Que du bonheur. On pense pas mal à Harms Way, mais un Harms Way qui aurait de l’inspiration à revendre et « bagarre » tatoué en grosses lettres sur le bide.

Cerise sur le gâteau de cet énorme amas de mandales : ‘In The Silence’. Avec son arpège inquiétant et son rythme qui traîne la patte, ce titre arrive à tomber en plein milieu de l’album sans le ralentir, mais en l’engluant encore plus dans son ambiance de machines rouillées (voir la pochette) et de mécaniques grinçantes avant de prendre son temps pour le final le plus mastoc de l’album. Cette chanson vaut à elle seule l’achat de Only Self.

Le groupe qui me réconcilie avec les signatures chez Southern Lord ? Oh que oui. Avec un hardcore qui sonne très moderne tout en gardant les pieds bien plantés dans la tradition, et une des meilleures voix de ces derniers temps (‘Dog No Longer’ ? Mouais, l’homme n’a jamais été aussi proche du rotweiller, et c’est un compliment), Jesus Piece s’impose comme un des gros noms à retenir ces derniers temps, et balance un premier full-length qui sent bon l’album de brutes de l’année. NOTHING LEFT, ONLY SELF.

Baptists | Beacon Of Faith


J'ai un problème avec Baptists. Je les aime beaucoup, leurs disques me donnent envie de cogner dans les murs – surtout leur premier effort Bushcraft -, leur rage à peine contenue me fait toujours un effet boeuf, et leur batteur est vraiment monstrueux (ça, on en reparlera plus tard). Mais malgré tout ça, ils me frustrent un peu. Je m'explique.

Troisième album donc, troisième série de mandales distribuée par les Canadiens de Vancouver dont le succès n'est plus à prouver. On retrouve dès les premières secondes de 'Worse Than Hate' leur son facilement reconnaissable, entre la voix crachée avec hargne et la guitare malmenée, torturée, qui fait toujours autant penser à Converge et à sieur Ballou (le guitariste-producteur, pas l'ours de la jungle qui se contente de peu). Sur des titres comme 'Beacon Of Faith', 'Vicarious Trauma' ou 'Indigo Child', c'est plus que flagrant, et d'ailleurs pas qu'au niveau de la guitare, les fûts et la façon de scander les phrases suivent aussi le chemin tracé par la bande à Bannon.

Ajoutez à cette recette quelques petits ingrédients par-ci par-là, et vous obtenez du Baptists. A commencer par un crust bien gras et bien énervé. 'Outbreeding' pourrait sortir d'un album de Trap Them, et c'est à mon goût la meilleure chanson de l'album, celle qui donne envie de se jeter dans les pogos sans réfléchir et en braillant. 'Victim Service' est plus punk, avec un petit arrière-goût carrément rock'n'roll à s'en déchausser des vertèbres ; et l'accélération finale de 'Bevel Down' - qui ne manque pas de rappeler Martyrdöd - se la joue plus mélodique, et on se surprend à lever les mains vers le ciel en retroussant les lèvres.
Les Canadiens savent aussi ralentir le tempo et se permettre de poser des ambiances, et c'est en fait là qu'ils développent leur aspect le plus personnel. Les deux titres en question seront les seuls "répits" offerts sur l'album, sans compter la piste instrumentale finale. 'Capsule', avec sa montée en puissance à grands coups de toms et d'accords fleurant bon la HM-2 qui ne débouche que sur un rythme lent et une guitare chargée d'écho, se révèle aussi frustrante (dans le bon sens du terme) qu'entêtante, semblant résonner vainement dans la profondeur de la forêt de la pochette. 'Eulogy Template', elle, est franchement inquiétante, ses arpèges froids et métalliques se muant en accords écrasants comme une nuée de nuages noirs venant tout assombrir.
Et surtout, dernier ingrédient essentiel : Nick Yacyshyn (oui, il y a trop de Y), frappeur béton qui soutient tout l'édifice des Baptists. Son jeu nerveux, instinctif mais ultra-solide, bourré de breaks dans tous les sens sans paraître surchargé pour autant, rythme tout l'album et contribue à rendre la musique bien plus puissante qu'elle ne l'est déjà. Il a d'ailleurs sûrement beaucoup joué dans la popularité du groupe, certains fans se déplaçant surtout pour le voir lui, et Dave Grohl lui-même ayant déclaré qu'il était son batteur favori.

Et alors, pourquoi parler de Baptists comme d'un groupe frustrant, si tout ça sonne si bien ? Tout simplement parce que je trouve que ça pourrait sonner encore mieux. A chaque nouvelle sortie, je me dis qu'ils pourraient être un de mes groupes favoris, et un des plus grands noms du style. Mais à chaque fois, il leur manque à mon sens un petit quelque chose, un minuscule grain d'inspiration qui permettrait à chaque chanson d'être mémorable et à chaque zicos d'être au niveau pharaonique du batteur. Pas de véritable évolution ni d'innovation entre chacun de leurs albums, alors que je les sens à deux doigts (et encore : deux phalanges) de toucher la grâce et de sortir un truc monumental.

Qu'on ne s'y trompe pas : les Baptists sont ultra-efficaces, et ont depuis longtemps prouvé leur consistance et leur capacité à tout ravager sur leur passage. Mais avec une toute petite touche de caractère en plus, ils pourraient devenir immenses. Allez les gars, on y croit. Sortez de la forêt qui garnit chacune de vos pochettes, ou enfoncez-vous y définitivement, et vous ne serez plus seulement menaçants, vous serez monstrueux.

They Live | We Sleep | Self Harm


Toi, vu la tronche que tu tires, tu as dû passer une sale journée. Peu importe si c'est la cafetière qui t'a explosé à la gueule, ta bagnole sur laquelle il faut encore remplacer un truc dont tu ignorais l'existence mais qui coûte le prix d'une mèche de cheveux d'Elvis, ou si tu n'as plus de bière au frigo, je sens que tu as besoin d'une bande-son adaptée à ta haine. Oh, rien d'original, rien qui ne veuille réinventer quoi que ce soit, juste quelque chose d'efficace, aussi court que brutal.

Tu tombes bien : They Live | We Sleep vient de débarquer sans prévenir, et c'est exactement ce qu'il te faut. Formé en 2016 au Pays de Galles, le groupe de cinq gaillards a attendu deux ans avant de balancer ce premier EP qui prend le pari de prouver en dix minutes montre en main à quel point ils peuvent être méchants.
Et le pari est tenu. Dès les quatre coups d'envoi de 'Life Made Filth', They Live | We Sleep laisse libre cours à sa rage et ne la fera pas taire avant la dernière seconde du dernier titre. Tous les moyens sont bons pour enfoncer le crâne de l'auditeur et lui faire bourdonner les oreilles, que ce soit par le biais d'un crust/d-beat très punk à la Trap Them ('Life Made Filth', 'Destroy What Destroys You'), d'un hardcore complétement chaotique qui tourne en rond à la Cult Leader ('Self Harm') ou de délicieuses touches grindy parsemées tout au long de l'EP. La production est fidèle aux standards du style, guitares tronçonneuses et duo basse-batterie chaud et massif, voire même plutôt bonne pour un premier jet. Une voix qui fait penser au fils caché que le batteur-hurleur de Code Orange aurait eu avec un grizzly par-là dessus, et je t'assure que tu écraseras le bouton play plus d'une fois pour te remanger encore et encore ces dix minutes en pleine face.

Alors oui, comme souvent dans un premier EP, les influences sont vraiment très présentes et même franchement détectables, mais honnêtement, quand le résultat est aussi efficace, qu'est-ce qu'on s'en fout ? Va donc demander au mec qui moshe tout seul là-bas si ça le préoccupe. Un groupe de plus à ajouter dans la section "à surveiller de près pour la sortie de mon prochain défouloir avec option débranchage de cerveau".

Nightmarer | Cacophony Of Terror


On ne pourra pas dire que je ne l'ai pas attendu, celui-là. Après un EP (Chasm) de deux très bons titres, et une signature chez Season Of Mist, Nightmarer, qui compte dans ses rangs Simon Hawemann et Paul Seidel, deux membres des regrettés War From A Harlots Mouth, balance enfin son premier full-length, promettant de répandre désolation et désespoir avec son death metal dissonnant.
Car on a ici affaire à un album-concept, qui raconte la plongée d'un homme dans la dépression, la paranoïa et l'auto-destruction jusqu'à ce que toute vie l'ait fui. Joyeux programme.

Dès la bien-nommée introduction instrumentale 'The Descent', le ton est donné : batterie massive et écrasante et couches de guitares dissonnantes qui encerclent l'auditeur dans des nappes de brouillard acide, on est bien partis pour une descente aux enfers malgré un son très clair et moderne. Ajoutez au reste de l'album une voix death à souhait, monocorde mais bien gutturale et puissante, et vous obtenez un cocktail très prometteur, qui ne demande qu'à bien tenir sur la durée.
Et au fur et à mesure des pistes, Nightmarer se montre très efficace, tous muscles dehors en permanence ou presque, ne calmant le jeu que pour de très courts interludes qui renforcent son ambiance sombre et écrasante, comme le passage central de 'Stahlwald' ou l'introduction de 'Death', tout droit sortis d'un film d'horreur. Le reste du temps, on alterne entre lente et écrasante lourdeur et blasts apocalyptiques, l'un après l'autre au fil des chansons. Le maître mot ici, le fil conducteur, est le slogan du groupe : "Total Dissonance Worship". Pas un seul riff n'use pas de cette recette, pas une seule mesure n'y échappe : tout est dissonnant, à fond, tout le temps. Le nom brûle les lèvres à tout le monde, il est inévitable, on pense beaucoup à Deathspell Omega (d'ailleurs le groupe favori du principal compositeur), en se prenant en pleine face ces couches et surcouches de riffs tordus sur fond de blasts. La formule du célèbre groupe français a été usée jusqu'à la moelle, on aime ou on n'aime pas, moi je ne boude pas mon plaisir, et je me surprends à chaque écoute de l'album en train de secouer la tête en rythme, les yeux fermés, en me laissant marteler encore et encore. Raaahh.

Seulement, voilà : qui dit lourdeur et blasts non-stop dit aussi monotonie. Et l'album, à vouloir à tout prix être aussi monolithique et in-your-face, se révèle à la longue un peu uniforme, la plupart des titres peinant à se différencier, et les riffs dissonnants se noyant les uns dans les autres sans jamais vraiment réussir à marquer l'oreille. Le son y est également pour beaucoup : les guitares sont dantesques, la batterie est ultra-triggée... le tout est en fait un peu propret pour être vraiment terrifiant. Malgré tout, certains riffs sont vraiment destructeurs ('Stahlwald' à 00:35, raaahh bis) et certaines chansons, comme 'Skinner', 'Cave Digger' ou 'Death' (si il y en a une qui arrive à être vraiment flippante, c'est bien celle-là) sont de vraies petites perles de désolation.

Au final, ce premier album me laisse, et c'est rare, à la fois satisfait et mitigé. Satisfait parce qu'il est, comme promis, ravageur et massif, et mitigé parce qu'il n'est pas pour autant le concentré de terreur que j'en attendais. Cacophony, oui, Terror... pas autant que prévu. Je continue toutefois à l'écouter avec autant de plaisir, ce qui est toujours bon signe.
Les amateurs de vinyles, eux, n'ont pas à redouter la déception : le guitariste et compositeur Simon Hawemann étant grand collectionneur, l'album sort en plusieurs variantes, toutes limitées. Un peu plus de travail sur la forme que sur le fond, c'est peut-être justement ce qu'il y aurait à reprocher à Cacophony Of Terror. Qui est quand même très bien. (Mitigé, je vous ai dit !)

Necrodancer | Void


C'est donc comme ça que ça finit.

Les mains sur le rebord d'un trottoir, à genoux sur le béton, penché au-dessus d'une bouche d'égout, à fixer sans les voir les remous des eaux usées de cette foutue ville. Il m'ont pas loupé, ces enfoirés, une belle entaille de l'aine jusqu'aux premières côtes, et vu comme ça pisse le sang, il doit pas me rester longtemps.
J'y croyais pas vraiment, pourtant, à cette légende urbaine qui faisait de plus en plus parler d'elle. Le Necrodancer, une bande de quatre, froids et sauvages, prêts à s'enfoncer en ricanant dans la plus profonde décadence. Mais, j'aurais dû me méfier : des gars issus de Verdun, Daggers ou encore Death Mercedes, qui n'hésitent pas dès leurs premiers méfaits à s'allier au sombrement célèbre Amaury Sauvé, et qui amènent même certains à les comparer à des pointures telles que Haust ou Okkultokrati, ça aurait dû me foutre la puce à l'oreille.

Mais comment ne pas se laisser séduire ? M'aborder avec des crochets comme 'The Necrodancer' puis 'The Seizure', c'est me prendre par les sentiments. Des coups droits si directs, purement rock'n'roll, qui sentent le bar plein à craquer, les amplis qui chauffent un peu trop et la sueur à la bière, j'en redemande, j'encaisse les coups avec le sourire, je tends l'autre joue en riant. La caboche qui sonne comme une caisse claire à la délicieuse réverb, les oreilles bourdonnantes comme agressées par une basse avec tous les potards à fond.
C'est plutôt ces accès de froideur qu'ils me balançaient par petites touches qui auraient dû m'alarmer : avec 'The Hunter' et 'The Cruisade' a vite commencé à souffler un vent glacial entre les dents des quatre lascars, leurs sourires vicieux brillant dans le noir tandis qu'ils s'approchaient de moi, m'entouraient, m'acculaient, me piégeaient comme un rat. Et pourtant, comme un con, j'avais toujours envie de cogner du pied par terre, de sourire, de me déhancher comme une des girls du bar d'à côté tellement ces salauds savent swinguer.
Et les coups ont continué à pleuvoir. Les gnons bien lourds et pêchus de 'The Divide', le redoutable Matthias Jungbluth qui s'est joint à eux pour me percer les tympans sur 'The Inquisition'... A quoi bon chercher à esquiver ? A ce stade, on se contente de se relever comme on peut avant le prochain assaut, en titubant, la vision brouillée par le sang. Il leur a suffi d'une demi-heure pour me laisser pantelant avant le coup final, le dernier accès de rage, le fameux coup de surin qui m'a achevé, 'The Battlefield'.

Ce qui nous ramène à l'instant présent, et à ma lucidité qui se fait de plus en plus la malle, au même rythme que l'hémoglobine qui me sort toujours à gros bouillons par le bide. Appeler au secours ? Même pas en rêve. Ramper jusque quelque part où on pourra me recoudre ? J'aurai lâché prise bien avant d'arriver où que ce soit. J'ai plus qu'à crever ici, sans comptes à rendre à personne, écrasé dans mon coin, la tête qui résonne encore. Necrodancer... Ils portent bien leur nom, ce sera ma dernière pensée.

Et pourtant, j'ouvre les yeux. Une ampoule qui grésille là-haut au plafond, un ressort de mon vieux fauteuil qui me poignarde le dos, le crépitement d'un vinyle arrivé à sa fin dans les enceintes... J'ai rêvé. Je me penche en avant, et je repose l'aiguille sur la première piste de Void.

Morse | Pathetic Mankind


Ca va finir par se savoir : le hardcore à tendance chaotique, c'est mon pêché mignon. Alors, du hardcore chaotique français (oui, ça ne court pas les rues), de qualité supérieure, et qui fait dire à certain collègue écrivain sur fond rose "qui a besoin de leader de culte, de toute manière" ? J'accours, je bondis, d'autant que le premier essai de Morse, Beliefs Destroyer, montrait déjà un joli potentiel sous ses airs de premier jet.

Et en quatre ans, les Montpelliérains n'ont pas laissé ce potentiel dormir. Avec un son gonflé aux hormones, une voix qui a développé ses reflets graisseux, et surtout une aura bien à eux, brutale et diablement efficace. Enregistré en plus chez Amaury Sauvé, qu'on ne présente plus, on en prend plein la face pendant une demi-heure, dans la joie et la bonne humeur, si l'on peut dire. Parce que, Montpellier chaud et ensoleillé, les doux et clairs bords de l'Hérault, tout ça, on oublie : il souffle sur Pathetic Mankind un vent glacial et une persistante odeur de pétrole, et les nombreux éclats de rage flamboyante parsemés sur le disque ne suffiront à réchauffer personne.
Il serait pourtant facile au premier abord de se laisser tromper par la hargne franchement hardcore des trois premiers titres, qui appellent à frapper du poing tout ce qui se trouve aux alentours à grands renforts de beats primitifs et de riffs complétement débridés qui fleurent bon le Cult Leader le plus vénère. Mais le premier indice se trouve dans la partie finale de 'Lies And Greed', avec ses accords traînants qui tirent vers une dissonnance bien assumée : vous la sentez, cette vilaine petite brise ?
Cette petite brise devient blizzard sur 'Unstoppable Fire' et 'Chocked' . Ces deux titres sont vicieux, sournois, frappent là où on ne les attendait pas, et sont par la même occasion bien évidemment excellents. Le premier joue sur la carte du ralentissement aussi binaire qu'épique, et le deuxième braille simplement son désespoir à pleins poumons, une plainte hurlée sur quelques accords étouffés qui prouve une fois de plus que la simplicité peut faire une chanson magique.
Pour le reste, les éclats de rage mentionnés plus hauts sont nombreux, et Morse canalise sa puissance de feu à merveille, jouant sans difficulté avec riffs déstructurés, légères acrobaties rythmiques et gros passages de gorille ('Pathetic Mankind' et sa lourdeur jouissive). Pas de déballage technique superflu, pas de fioritures forcées, juste une redoutable efficacité.

Un album brutal, mais qui se laisse porter par sa propre violence au lieu de s'y embourber, fluide et cinglant comme un petit sourire en coin, pour montrer aux poids lourds américains qu'ils ne lui font pas peur. Une des bonnes surprises de l'année, qui impose Morse non plus comme un groupe à surveiller, mais comme une menace bien réelle.

Friendship | Hatred


Qu'est-ce qui fait un bon disque de grindcore ? L'intensité de sa frénésie ? Sa capacité à rester intéressant même lorsqu'il ralentit le tempo ? S'il arrive ou non à créer le mur de son et de violence qu'on en attend ? S'il tient ou non sur la durée, sans lasser après quelques titres ?Sûrement un peu de tout ça en même temps, et Friendship, groupe japonais à l'identité mystérieuse, s'attaque à l'exercice avec son premier full-length, et autant vous dire tout de suite qu'il remplit le cahier des charges. Prenez une grande inspiration, parce que vingt-cinq minutes la tête sous l'eau, c'est long.

Hatred a l'excellente idée de commencer son assaut de la même façon que le Rudiments Of Mutilation de Full Of Hell. Ces quelques mesures de blast débridé sur fond de larsen avant le premier hurlement rappellent à mon bon souvenir cet immense disque à chaque écoute, et ont le don de me coller un grand sourire masochiste en travers de la face avant même que ça n'ait commencé. Copie, hommage ou hasard, je ne sais pas, et on n'a de toute façon pas vraiment le temps de se poser la question : Friendship rentre dans le vif du sujet, toutes dents dehors, sans jamais (ou si peu) freiner la brutalité de son agression ni donner à qui que ce soit l'occasion de souffler.

La recette de base est simple : alterner entre gros blasts hystériques et ralentissements bas du front qui fleurent bon le hardcore et le beatdown, c'est vu et revu, et si on a l'habitude d'écouter du grind, on espère trouver un peu plus pour pouvoir réellement s'intéresser à un énième disque du style. Seulement, voilà : vous vous rappelez du premier album de grind (ou d'un autre genre extrême) que vous avez entendu ? Cette excitation mêlée à la surprise de se manger un truc aussi violent ? Eh bien, Friendship a su réveiller ce sentiment chez moi. Ils jouent de cette recette basique avec une furie et une rage qui les tirent vers le haut et qui font qu'on se laisse simplement marteler avec joie (si l'on peut dire) ; une furie et une rage qui font de ce premier album une leçon à suivre pour bon nombre de formations évoluant dans ce style. Riffing acide, batterie constamment sur les nerfs, voix arrachée et hargneuse à souhait, le combo fonctionne à merveille, enchaînant les éclats de violence les uns après les autres.

Quelques petites variations apparaissent tout de même çà et là, permettant de garder une oreille attentive. 'Regiside' termine par une "longue" plage lancinante et noisy, 'Corrupt' traîne la patte, lourde et plaintive, 'Blue Berry' prend le temps de se terminer en s'enfonçant lentement dans une épaisse boue sludge... Sans oublier 'Compton', sûrement la meilleure piste de l'album, encadrée par son riff torturé sur tapis de blast, qui fait durer le plaisir juste ce qu'il faut sur sa fin. Quelqu'un a vu mes vertèbres ?

Servis par une production au poil, épaisse et crade, qui rappelle que le grindcore n'a pas le temps de s'encombrer du mot "propre", Friendship n'ont absolument rien d'amical, et ne tentent même pas un sourire forcé en attendant de vous planter dans le dos. Bien nommé, Hatred n'est qu'agression pure et frontale, et c'est de loin une des meilleures sorties grind de cette année.

Dark Habits | Cave Paintings


Décidément, l'Angleterre a son mot à dire dans la violence crue ces derniers temps. Après Helpless qui ont entaché la scène hardcore chaotique avec leur album Debt, au tour de Dark Habits de faire parler d'eux avec leur EP appelé Cave Paintings, sorti seulement cinq mois après la formation du groupe en janvier. Pas le temps de niaiser.

Cette très courte mise en bouche a eu un bon accueil, et elle ne l'a pas volé : les titres sont convaincants, cohérents, et très solides. Cave Paintings s'inscrit dans un courant plus qu'à la mode avec un mélange hardcore-crust-noise-grind-blackened-de-la-mort, mais arrive à tirer son épingle du jeu, par son exécution solide, et surtout par son côté chaotique et toujours dans l'urgence. On passe du grind enragé au hardcore massif avant d'avoir eu le temps de dire "grumpf", le tout entrecoupé de blasts très empruntés au black, et avec un sens du riffing assez simpliste mais franchement efficace. Le hurleur aussi est pour beaucoup dans l'aura frénétique de l'ensemble, avec une voix très saturée à mi-chemin entre Jacob Bannon et Todd Jones. A noter, le titre noise très réussi, qui rappellerait presque les ignobles fumées toxiques d'un certain Some Day You Will Ache Like I Ache. Presque. Dommage qu'on n'ait pas eu droit à une deuxième piste de cette trempe, au lieu de 'Pity', sans grand intérêt, et vraiment dispensable sur un format si court.

Alors oui, on a l'impression de se faire enchaîner entre les diverses influences, entre le breakdown très hardcore qui arrive poings serrés dans ta face, le crust qui te bourre les côtes, le grind qui te lamine le dos à grands coups de canif, la noise qui s'abat sur toi comme un nuage de pollution et les petites dissonnances par-ci par-là qui te font avaler la pilule, mais cet amas compact présente deux petits défauts. Le premier étant que cet EP fait du coup un peu démonstration de force, comme si Dark Habits avaient absolument voulu prouver qu'ils savaient faire tout ça. On le sait très bien, un premier EP est l'occasion de faire causer de soi, il faut convaincre son monde, mais il y a une différence entre se faire marteler de brutalité et se faire gaver comme une oie, et Cave Paintings penche un chouïa trop du côté de la deuxième option. Et pour ce qui est de l'autre défaut, eh bien, dans "amas d'influences", il y a "influences" – et celles-ci sont trop proéminentes chez Dark Habits. Le grind sonne très Full Of Hell, le hardcore sonne très Nails, le titre noise sonne vraiment très Full Of Hell / The Body... On met le doigt dessus en une fraction de seconde, ce qui efface un peu l'identité que le groupe se construit tant bien que mal. A voir si ces influences se confondent mieux dans l'ensemble sur un premier full-length, qui ne devrait pas apparemment tarder, et si l'effet gavage d'oie s'amenuise par la même occasion.

Malgré ces reproches, Dark Habits arrive à convaincre avec ce Cave Paintings écrit en très peu de temps, et s'inscrit directement sur la liste des groupes à se garder dans un coin de la tête si vous aimez votre musique punitive et sans relâche. Affaire à suivre.

Helpless | Debt


GAZA.

Voilà, maintenant que j'ai l'attention de la faune chaotico-sludgy-hardcore qui aime les ecchymoses livrées par palettes et la violence rampante, parlons de Helpless, trio originaire d'Angleterre qui passait jusqu'ici plutôt inaperçu, avec à son effectif un unique et court EP.

Malgré la naissance de l'excellent Cult Leader, nous sommes nombreux à pleurer la mort de Gaza, dont la frénésie chaotique et la lourdeur écrasante n'ont jamais été égalées, ou en tout cas pas avec la patte unique qu'ils y apportaient. Alors quand j'ai entendu dire qu'on retrouvait un peu de cette grâce chez Helpless, j'ai tenté de ne pas hurler de joie trop tôt, et je me suis rué sur Bandcamp en croisant les doigts, avec des fers à cheval accrochés aux oreilles et un cierge dans chaque narine.

Et après plusieurs écoutes plus ou moins consécutives, il faut bien l'admettre : c'est vrai. Helpless possède cette facilité à écraser l'auditeur d'abattement pour ensuite le relever à grandes beignes au sein d'une même chanson, cette aisance à faire dans l'hystérique et le traînant à la fois, cette faculté à mettre tout le monde d'accord en quelques notes. Dès les premières secondes de 'Worth', entre cette guitare mathématique et chaotique à la fois, cette batterie qui tartine à mort et cette voix massive, on pourrait presque croire au retour des Américains, et il ne reste qu'à serrer les dents et encaisser les coups.
Et il y a de quoi encaisser, les titres s'enchaînent sans aucune difficulté, courts et incisifs, sans fioritures, comme si le combo avait voulu s'assurer d'éliminer la moindre longueur, le moindre sentiment de relâchement. Ne reste – presque – que furie grind et lourdeur mi-hardcore, mi-sludge, et lourdeur est un faible mot. Parce que le riff de 'Weightless Prayers', je ne sais pas combien il pèse, mais on se sentirait presque s'enfoncer dans le sol peu à peu.
Et quand on se permet brièvement de ralentir ou de prendre son temps, comme sur les fins de 'Moral Bankruptcy', 'Weightless Prayers' ou 'Ceremony Of Innocence', c'est pour pouvoir frapper sa cage thoracique du poing et le béton du pied, et ainsi se permettre de ressembler plus que jamais aux deux groupes cités plus haut.

Seulement, Helpless n'est pas qu'une copie de Gaza, ne serait-ce que parce que si Gaza laissait son auditeur sonné et impuissant, Helpless lui laisse de la marge pour se débattre et enrager. Une certaine énergie hardcore vient régulièrement peser sur le disque, la meilleure preuve étant le passage de basse au milieu de 'Moral Bankruptcy' qui donne furieusement envie de se mettre à mosher en pleine rue.
Et tant qu'on parle de basse : qu'est-ce qui leur a pris, sur ce dernier titre ? L'idée d'écrire une chanson entièrement basée sur un unique riff de basse peut paraître simple, mais pour lui instiller une pareille aura d'apocalypse, c'est une autre paire de manches. Ce riff qui tourne en rond six pieds sous terre, cette guitare qui n'est plus qu'un bout de métal rouillé, cette voix qui se révèle encore plus bestiale et possédée en arrière-plan... Il aurait été difficile de terminer sur une note plus marquante. L'album se finit en beauté, après une courte vingtaine de minutes. On en redemande, mais pour un disque aussi intense et chargé à bloc, c'est au final largement suffisant, et on le relance avec la bave aux lèvres et les yeux fous.

Helpless fait ses preuves, avec une vraie leçon de brutalité et un premier essai qui figurera haut la main dans les surprises de l'année. Effet bonus : après quelques écoutes, vous finissez avec la même tronche que la pochette.

Comeback Kid | Outsider

J'avais treize ans, et ne jurais que par The Offspring et autres NoFX quand mes mains se sont posées sur le Broadcasting... de Comeback Kid, attirées par cette pochette aux couleurs ternes et son bâtiment abandonné, enfoncé dans une terre sur laquelle plus rien ne pousse depuis longtemps. Et ce fut la claque. Je me rappelle l'excitation en découvrant qu'on pouvait jouer du punk rock plus rapide, en criant, et en dévastant tout sur son passage. Broadcasting... fait partie de ces albums qui ont marqué mon entrée dans le hardcore, puis le metal, et le début de ma recherche vers des groupes de plus en plus sombres et hargneux.
Bien sûr, je me suis plus tard rendu compte que la pochette est franchement moyenne, et que l'album est loin d'être le meilleur du Kid, mais il garde cette saveur particulière chaque fois qu'il tourne.

Vous l'aurez compris, j'attends depuis chaque sortie du groupe avec impatience, et impatience est un faible mot, puisque trois à quatre ans s'étirent entre chaque nouvel album. Mais le Kid ne m'a jamais déçu, entre la violence hardcore frontale de Symptoms + Cures, puis les avancées plus métalliques de Die Knowing.
Et pour ce Outsider, eh bien, l'occasion est trop belle, il faut que je le dise : la boucle est bouclée. Car le premier aspect qui frappe, le premier détail que l'on retient, c'est la forte tendance punk rock, voire même pop punk qui s'étale sur ce nouvel album. Dès la quatrième piste, 'Hell Of A Scene', après un court blast, on se mange un refrain qui, honnêtement, ne dépareillerait pas sur un album de Sum 41. Même chose sur 'Consumed The Vision', avec en guest Chris Cresswell, l'excellent chanteur des Flatliners, et sa voix reconnaissable entre mille, et enfin sur 'Recover', qui sent carrément la Californie avec ses mélodies ensoleillées. Si si, je vous assure, on est toujours en train de parler d'un album de Comeback Kid, et curieusement, malgré les guests surprenants et cette nouvelle facette sautillante, je ne suis pas en train de râler. Tout simplement parce que ces nouvelles influences sont très bien amenées, et parfaitement mixées dans l'ensemble.

Car pour ce qui est du reste, le Kid n'a pas perdu la main, et continue de cogner dur et fort, dispensant son hardcore mélo avec une aisance déconcertante. Les mélodies sont toujours aussi infectieuses, comme sur le single 'Surrender Control', qui vous restera dans la tête pendant trois semaines et qui donne une furieuse envie d'aller le reprendre en live, une bière à la main. Et les titres plus bas du front sont efficaces à souhait : 'I'll Be That' pourrait difficilement être plus carré avec sa double pédale et son break qui mettra la guerre dans le pit, et 'Throw That Stone' achèvera les éventuels survivants avec son ralenti et son accélération qui donnent envie de mosher tout seul dans son salon.
Certains titres sont un peu plus dispensables, comme 'Absolute' qui se retrouve surtout sauvé par le featuring de Devin Townsend (oui, il est vraiment partout), ou 'Somewhere, Somehow' et 'Livid, I'm Prime' qui se fondent un peu plus dans la masse. C'est au final Andrew Neufeld qui aide le groupe à se démarquer, sa voix caractéristique toujours aussi hargneuse et de plus en plus conductrice d'émotions maintenant que le hurleur va dans un sens de plus en plus mélodique.

J'ai une forte tendance à descendre les groupes qui se "ramollissent", c'est un fait. Mais Comeback Kid réussit parfaitement cette transition ici, et cette injection de punk plus mélo qu'à l'accoutumée dans leur hardcore rafraîchit bien leur formule. Dommage que cet album ne sorte que maintenant, il aurait été parfait pour cet été.