mercredi 28 décembre 2022

Necrodancer | Void


C'est donc comme ça que ça finit.

Les mains sur le rebord d'un trottoir, à genoux sur le béton, penché au-dessus d'une bouche d'égout, à fixer sans les voir les remous des eaux usées de cette foutue ville. Il m'ont pas loupé, ces enfoirés, une belle entaille de l'aine jusqu'aux premières côtes, et vu comme ça pisse le sang, il doit pas me rester longtemps.
J'y croyais pas vraiment, pourtant, à cette légende urbaine qui faisait de plus en plus parler d'elle. Le Necrodancer, une bande de quatre, froids et sauvages, prêts à s'enfoncer en ricanant dans la plus profonde décadence. Mais, j'aurais dû me méfier : des gars issus de Verdun, Daggers ou encore Death Mercedes, qui n'hésitent pas dès leurs premiers méfaits à s'allier au sombrement célèbre Amaury Sauvé, et qui amènent même certains à les comparer à des pointures telles que Haust ou Okkultokrati, ça aurait dû me foutre la puce à l'oreille.

Mais comment ne pas se laisser séduire ? M'aborder avec des crochets comme 'The Necrodancer' puis 'The Seizure', c'est me prendre par les sentiments. Des coups droits si directs, purement rock'n'roll, qui sentent le bar plein à craquer, les amplis qui chauffent un peu trop et la sueur à la bière, j'en redemande, j'encaisse les coups avec le sourire, je tends l'autre joue en riant. La caboche qui sonne comme une caisse claire à la délicieuse réverb, les oreilles bourdonnantes comme agressées par une basse avec tous les potards à fond.
C'est plutôt ces accès de froideur qu'ils me balançaient par petites touches qui auraient dû m'alarmer : avec 'The Hunter' et 'The Cruisade' a vite commencé à souffler un vent glacial entre les dents des quatre lascars, leurs sourires vicieux brillant dans le noir tandis qu'ils s'approchaient de moi, m'entouraient, m'acculaient, me piégeaient comme un rat. Et pourtant, comme un con, j'avais toujours envie de cogner du pied par terre, de sourire, de me déhancher comme une des girls du bar d'à côté tellement ces salauds savent swinguer.
Et les coups ont continué à pleuvoir. Les gnons bien lourds et pêchus de 'The Divide', le redoutable Matthias Jungbluth qui s'est joint à eux pour me percer les tympans sur 'The Inquisition'... A quoi bon chercher à esquiver ? A ce stade, on se contente de se relever comme on peut avant le prochain assaut, en titubant, la vision brouillée par le sang. Il leur a suffi d'une demi-heure pour me laisser pantelant avant le coup final, le dernier accès de rage, le fameux coup de surin qui m'a achevé, 'The Battlefield'.

Ce qui nous ramène à l'instant présent, et à ma lucidité qui se fait de plus en plus la malle, au même rythme que l'hémoglobine qui me sort toujours à gros bouillons par le bide. Appeler au secours ? Même pas en rêve. Ramper jusque quelque part où on pourra me recoudre ? J'aurai lâché prise bien avant d'arriver où que ce soit. J'ai plus qu'à crever ici, sans comptes à rendre à personne, écrasé dans mon coin, la tête qui résonne encore. Necrodancer... Ils portent bien leur nom, ce sera ma dernière pensée.

Et pourtant, j'ouvre les yeux. Une ampoule qui grésille là-haut au plafond, un ressort de mon vieux fauteuil qui me poignarde le dos, le crépitement d'un vinyle arrivé à sa fin dans les enceintes... J'ai rêvé. Je me penche en avant, et je repose l'aiguille sur la première piste de Void.

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